Sur la tactique et la stratégie : la précipitation et l’impuissance dans le mouvement révolutionnaire

Ci-dessous une analyse produite par les militants de l’UJC, disponible au format PDF.

La médiatisation de l’affaire du Black Block (BB) dans la manifestation parisienne du 1er mai 2018 a mis sur la table la question de la tactique et de la stratégie parmi les militants des organisations syndicales et autres. On a pu voir un peu partout comment cette question a amené ces militants à s’exprimer de façon intense sur les méthodes de la lutte, sur ses rythmes, ses objectifs, ou sur l’idéologie qui devrait la mouvoir. Ce qui représente un grand point positif, le débat idéologique public et intense n’étant pas très courant dans une organisation comme la CGT. Ceci nous a permis de « prendre la température » des militants dans le sens où on a pu voir s’exprimer les lignes idéologiques principales du mouvement, les révolutionnaires, les défaitistes, les gauchistes, les droitistes ; de voir leurs soutiens et leurs arguments. Mais aussi ça a été une bonne occasion pour les militants les plus avancés de lancer publiquement des analyses correctes de la situation et d’exposer publiquement des positions révolutionnaires.

L’objectif de ce texte est de profiter de cette bruyante affaire et des positionnements qu’il a suscités pour réaliser une critique léniniste de ces positions. Sur la base du repérage des erreurs politiques dans chacune d’elles, on développera la conduite juste préconisée par la théorie et la pratique marxiste-léniniste.

Petit rappel théorique : révolution, stratégie et tactique

Pour les militants marxistes-léninistes les concepts de tactique et stratégie sont basiques et ont leurs racines dans la théorie marxiste du développement dialectique de la lutte de classes. L’objectif de tout marxiste-léniniste dans la lutte de classes en contexte impérialiste doit être clair et net : la destruction de l’État bourgeois et la construction de la dictature du prolétariat. C’est-à-dire, l’État ouvrier, dont le pouvoir politique est monopolisé par la classe prolétarienne qui a réussi à traîner derrière lui les couches moyennes et petites-bourgeoises, refusant de les céder à la bourgeoisie. La démocratie de type soviétique1 garantira l’intégration de la démocratie ouvrière et le monopole du pouvoir d’État par la classe ouvrière empêchera la bourgeoisie de regagner les positions perdues. L’universalité de ce but ne fait pas le sujet de ce texte, et on renvoie aux classiques2 qui ont très bien expliqué son besoin historique.

Pour arriver à cet objectif le Parti Communiste met en place une stratégie : un plan d’attaque général et projeté dans le long terme qui, faisant état de l’état de nos propres forces, des forces potentiellement alliées et des forces ennemies, établit une logique générale dans laquelle les actions concrètes vont s’inscrire. Il s’agit du chemin général à parcourir qui nous amènera à l’objectif du renversement révolutionnaire de l’État capitaliste. Il traite les alliances et accumulations de forces à établir, les modalités dans lesquelles ces alliances se réaliseront et agiront ; tout cela faisant état tant des forces ouvrières et populaires que des forces bourgeoises réactionnaires dans les contextes national et international.

Les actions concrètes répondent ainsi à des objectifs tactiques : toujours soumise aux objectifs stratégiques, la tactique établit des objectifs à court et moyen terme pour y aboutir. Il s’agit des directives concrètes sur les fronts à ouvrir, la façon d’y intervenir, les mots d’ordre à privilégier, la façon de les faire converger vers l’objectif stratégique.

Tant la stratégie que la (ou les) tactique(s) sont propres à un moment donné et peuvent changer selon les évolutions de la propre lutte de classes. Mais bien sûr la stratégie reste toujours beaucoup plus stable que les méthodes tactiques pour la suivre, qui sont beaucoup plus assujettis à la conjoncture immédiate, très mobile, dans laquelle le Parti Communiste déroule son action à chaque moment : aux actions des forces réactionnaires et des potentiels alliés, aux événements géopolitiques, etc. La stratégie est d’habitude révisée par les Congrès du Parti Communiste, la tactique s’étend d’une tactique plus générale établie par le Comité Central à des tactiques plus concrètes préconisées par les comités de cellule et intermédiaires. La révision et variabilité tant de la tactique que de la stratégie s’adapte à la propre variabilité de la lutte de classes, qui a une évolution générale vers une polarisation sociale entre exploiteurs et exploités (à laquelle la stratégie s’adapte) mais aussi des évolutions et des faits concrets qui véhiculent cette polarisation générale (auxquels la tactique s’adapte).

Le fait de prendre la stratégie pour l’objectif révolutionnaire en soi sans l’adapter aux circonstances concrètes, à la situation des forces révolutionnaires et réactionnaires figerait l’action d’un Parti Communiste qui doit être la machine politique la plus perfectionnée et adaptée à la lutte de classes, elle-même dynamique et non figée3. C’est également une erreur de sous-estimer le rôle de la tactique, de l’adaptation de l’action du Parti et la Jeunesse Communistes aux circonstances concrètes de la lutte de classes. Dans ce cas, le Parti Communiste tomberait dans un folklorisme politiquement inutile et dans la critique à outrance des autres organisations, qui deviendraient révisionnistes car elles montrent un soutien (même révolutionnaire) aux réformes. Ces deux cas amènent à la déviation gauchiste dans le communisme. Le fait, au contraire, d’oublier la stratégie et de privilégier la tactique, les objectifs tactiques adaptés immédiatement à la situation sur le terrain, peut nous faire oublier l’objectif stratégique de la prise révolutionnaire du pouvoir de l’État. On tombe alors dans la défense à outrance des réformes immédiates sans faire le lien avec l’objectif révolutionnaire. Seule la stratégie, établie sur le papier et sur le terrain par le Parti d’avant-garde, est capable d’inscrire la lutte concrète pour les réformes immédiates dans l’objectif global de la lutte pour la révolution prolétarienne. Oublier ceci signifie tomber dans la déviation droitiste dans le communisme.

Des exemples concrets autour du débat sur le Black Block

Le Black Block

La tactique du BB sur place est simple. Habillés en noir, consigne dont l’objectif est de rendre difficile l’identification des individus par la police, et munis d’équipement de guérilla urbaine (masques à gaz, lunettes de plongée, marteaux, barres de fer, etc.) les autonomes prétendent « monter le niveau » des manifestations syndicales et populaires en s’attaquant aux symboles de l’État bourgeois et du capitalisme. Les individus qui y participent sont censés le faire soit à titre individuel soit en tant que « militants » d’organisations. Dans les mots d’un d’eux, cette organisation opère à travers de « groupes d’affinités ». Ils critiquent les manifestations syndicales de « ballade et merguez » (mot d’ordre qui s’est répandu depuis un temps pour disqualifier les manifestations) et veulent exercer une violence qui soutienne en soi les revendications populaires pour faire céder l’État. La critique léniniste de ces mouvements n’est pas, bien entendu, la critique de la violence elle-même, puisque le léninisme affirme la nécessité de la violence politiquement organisée pour renverser et dominer la bourgeoisie. Notre critique ne va pas dans ce sens-là, ce qui constituerait une négation de l’objectif révolutionnaire du prolétariat et donc une déviation de droite.

Le flou organisationnel dans lequel ces militants agissent rend impossible une synthèse de leurs objectifs. Ce qui constitue en fait la toute première critique à ce mouvement pour tout militant léniniste : sans une synthèse des objectifs, ne serait-ce qu’en tant que courant dans un mouvement social plus large, toute action politique tend vers le mouvementisme le plus absolu, la foi absurde que le mouvement en soi est l’objectif, et dans ce sens-là le mouvement aurait une certaine tendance à l’opportunisme de droite. Voici pourquoi il est nécessaire de revendiquer l’appartenance à une organisation et nos mots d’ordre dans chacune de nos actions : le mouvement n’a aucun sens si ce n’est pas sur la base d’une position politique clairement exprimée qui le rassemble et qui le fasse évoluer vers des nouveaux objectifs.

Une deuxième conclusion de cette constatation par rapport à l’organisation du BB concerne la nature des liens entre les militants. Leur organisation se réalise par « groupes d’affinités », pour lesquels le groupe se rassemble sur des éléments uniquement idéologiques et encore très hétéroclite. De cette façon, on pourra trouver des éléments appartenant aux couches moyennes du prolétariat et de la bourgeoisie coude à coude avec des éléments prolétaires ou carrément bourgeois, unis juste par des liens idéologiques. Il existe un double manque d’ancrage dans la réalité matérielle de la part de cette forme d’organisation : politiquement il s’agit d’outsiders du mouvement social organisés exclusivement pour une manifestation (ou plusieurs, mais sans actions en dehors des démonstrations publiques du mouvement social et ouvrier) sur laquelle ils se parachutent. Organiquement, cette forme d’organisation ne répond en rien aux organisations propres au prolétariat, c’est-à-dire les organisations dans lesquelles les liens entre les prolétaires se tissent à cause de leur appartenance de classe : le syndicat dans le travail, le comité de mobilisation ou les AG dans l’université, les associations ou les mouvements de quartiers populaires, etc. Il ne s’agit pas ici de refuser la participation dans des organisations qui ne répondent pas à ces critères, notamment parce qu’en elles-mêmes elles peuvent aussi avoir un caractère interclassiste. Le meilleur exemple est la directive tactiquement correcte du Comité Central du PCRF sur la participation des militants au Mouvement de la Paix. Il s’agit de faire remarquer que l’importance de ces organisations à forte tendance ouvrière et populaire à cause de leur propre nature l’emporte sur les organisations floues, déracinées des lieux où les individus d’extraction ouvrière et populaire se rencontrent et s’organisent politiquement. Ce type d’organisation ne répond pas au besoin de faire converger le mouvement social et ouvrier avec l’objectif stratégique tout simplement parce qu’il n’est pas en mesure de s’y intégrer.

Le rôle du Parti et de la Jeunesse Communiste est dans ce sens d’intervenir à l’intérieur des organisations populaires et syndicales de toute sorte, sur ses revendications, pas seulement pour les soutenir mais pour, tout en les soutenant en tant qu’expression à un moment donné du mouvement ouvrier, faire monter leur niveau pour faire converger ces revendications avec l’objectif stratégique. La tactique est chargée dans ce cas de préconiser, en fonction de chaque organisation que fera l’objet de l’intervention des communistes, la façon d’y intervenir, les mots d’ordre à répandre, etc. L’objectif de l’avant-garde léniniste doit être, lorsqu’il aura atteint le stade dans lequel il sera largement développé parmi les organisations ouvrières et populaires, de faire converger toutes les organisations qui représentent une expression de la lutte de classes du côté des exploités vers l’objectif stratégique.

Ce manque de positions politiques constaté, le BB ne manque pas pour autant de lancer un message à tout le mouvement social et syndical. Ce message est clair : l’urgence de la lutte violente (parler de « lutte armée » serait une trop grande concession à ces groupes) par-dessus les organisations ouvrières et populaires et leur situation interne politique et d’organisation. Cette lutte est tant la méthode de faire céder le gouvernement de la part des BB que leur propagande. Ils sont donc inspirés par la « propagande par l’action » et par l’action directe de la tradition anarchiste et spontanéiste. Ils préconisent la lutte violente sans prendre en compte le stade développement de la riposte ouvrière et populaire contre le capital. Dans ce sens-là ils tombent dans une déviation de gauche car, quel qui soit leur objectif (en fait ils en ont pas un en commun, mais tout de même), ils n’ont pas appliqué une tactique qui leur permette de faire avancer l’ensemble du mouvement. Pire encore, ils démontrent qu’ils n’ont rien à faire du mouvement en soi et ils appliquent une vision quasi-blanquiste de « terrorisme » marginal. Pour eux, l’immobilisme général des masses est dû à une espèce d’idiotie ou d’endormissement toujours très personnalisé et centré sur l’idéologie, sans se poser la question de l’organisation des masses en structures qui concernent directement leur mode de vie, leur travail, leurs études, leur logement. Pourtant, la révolution est une affaire de masses.

L’avant-garde communiste ne doit pas se détacher du reste du mouvement, elle ne sera jamais en mesure de faire la révolution par elle-même et sans les masses. L’avant-garde se fond avec le mouvement, elle est consciente du besoin des masses ouvrières et populaires pour faire la révolution et soigne scrupuleusement son intégration dans les organisations de masses. Son objectif est que ses militants deviennent les militants les plus avancés dans les organisations des masses, pour faire monter leur niveau politique et d’organisation avec pour but de pouvoir prétendre à des objectifs de plus en plus élevés jusqu’à la conquête du pouvoir. Et cette intégration doit se faire en étant conscient qu’elle dépend de la capacité des militants à s’adapter au niveau du mouvement, à ne pas agir ou tenir des discours éloignés de la situation à chaque moment des organisations de masses. Bien que la stratégie tienne des objectifs élevés (le renversement révolutionnaire de l’État bourgeois), la tactique doit soigneusement se placer à chaque moment un pas devant le mouvement. Ni à son niveau ou à sa remorque -déviation de droite-, pas très loin de lui ou en dehors -déviation de gauche-. N’importe quelle de ces deux déviations entraînent dans la pratique la démission du rôle d’avant-garde.

L’agissement du BB, donc insurrectionnaliste et quasi-blanquiste, le marginalise de fait des masses organisées, dont les épaules doivent pourtant tenir le mouvement révolutionnaire. Leur décalage par rapport aux organisations syndicales et populaires a eu plusieurs conséquences. Premièrement, les organisations syndicales et populaires n’étant pas en mesure d’absorber médiatiquement l’analyse des faits et de répondre idéologiquement aux calomnies capitalistes, le capital a profité de cette opportunité dorée pour discréditer tout le mouvement ouvrier en attribuant les violences aux démonstrations publiques et en profitant de ces arguments pour mettre en cause le droit de manifester ! Deuxièmement, chaque manifestation où le BB provoque des charges policières, c’est une manifestation où les organisations révolutionnaires et les militants avancés du mouvement ouvrier auront des obstacles pour propager leurs positions à travers les cortèges, les chants et la propagande. Les manifestations « ballade et merguez », tant critiquées par le BB, sont tant la conséquence de l’état actuel du mouvement ouvrier (qu’on ne peut pas manipuler à volonté) qu’une opportunité pour les militants avancés et les organisations véritablement révolutionnaires de se démarquer des secteurs réformistes, social-démocrates et social-pacifistes et de propager leurs positions. L’irresponsabilité politique de ces mouvements ne provoque donc pas seulement leur marginalisation et leur isolement de l’ensemble des mouvements ouvriers et populaires qui à elle seule entraînerait seulement une inutilité de fait de leur action. Elle a aussi des conséquences néfastes pour l’ensemble du mouvement, qui trouvera des obstacles à son développement dialectique.

L’écho du BB dans les organisations politiques et syndicales

– Condescendance et soutien, impuissance et défaitisme

Leur message s’est répandu parmi certains militants de la CGT, voire du PCF, NPA et d’autres organisations opportunistes, avec une certaine réussite. Ces militants sont tombés dans le piège de la non-compréhension des rythmes de la lutte de classes et de son développement dialectique et dans une perspective spontanéiste : ils croient qu’il est nécessaire d’exercer ces violences dès maintenant pour aboutir à la réalisation des exigences syndicales et populaires. Ce qui est plus, certains le font au nom d’une lutte abstraite qui se limite au gouvernement Macron et au « retrait » des réformes qu’il a entamées. Sans surprise, le manque de formation théorique et/ou l’inconsistance des enseignements du militantisme syndical ont amené certains militants syndicaux à applaudir ce mouvement et à souhaiter que cela arrive à chaque manifestation. Ce qui peut sembler contradictoire si on compare ces affirmations avec les positions réformistes de leurs organisations. Ce n’est qu’un mirage. Premièrement, ces organisations opportunistes de droite ne se posent que des objectifs à court terme et elles croient mettre à disposition de ces objectifs toute pratique sans discrimination. C’est le cas notamment du NPA, comme à son habitude très condescendent avec le BB, sur lequel il a déclaré en communiqué « Si nous ne partageons pas la politique des groupes autonomes, nous comprenons la colère grandissante d’une partie de la jeunesse, qui fait face à la violence sociale et policière dans sa vie quotidienne ». De la même façon qu’ils proposent des alliances à droite et à gauche contre « Macron et son monde » (Macron doit selon eux appartenir à une autre planète), ils exercent leur opportunisme aussi dans l’affaire du BB. De cette manière, ils divisent objectivement le mouvement et sont prêts à défendre tout mouvement qu’ils trouvent « anticapitaliste » (dans leur sens du mot) pour en tirer un profit politique. Leur stratégie opportuniste, très dangereuse, tend à diriger les masses vers une acceptation de toute mobilisation comme « opposante » au gouvernement capitaliste même si elle satisfait clairement les intérêts politiques de la bourgeoisie. Ce n’est pas mauvais, au contraire c’est une position prolétarienne, de dire et d’affirmer que tout mouvement ne profite pas nécessairement au développement du mouvement ouvrier et populaire vers les positions révolutionnaires. L’opportunisme petit-bourgeois du NPA consiste à, sans discriminer un objectif politique stratégique concret et faire le bilan des forces favorables et réactionnaires, accepter tout mouvement comme politiquement correcte dans n’importe quelle situation concrète. Aucune analyse des temps et du développement nécessaire au mouvement révolutionnaire n’est faite, pour eux n’existe que la quantité sans importer la qualité. De cette façon, ils sont capables de soutenir tant le BB que n’importe quel autre mouvement, appliquant une logique facile, simple et fausse qui ne fait qu’embrouiller la réalité et confondre les militants.

Deuxièmement, le manque de formation ou d’expérience ; ou le fait de ne rien apprendre de l’exercice de la lutte de classes provoque une méconnaissance complète de ses rythmes de développement. Les militants sans formation de n’importe quelle organisation peuvent facilement passer de l’apathie et le défaitisme à l’euphorie et vice-versa. Le lien entre les deux attitudes est en fait serré. Un militant défaitiste et apathique, qui ne voit pas matériellement les résultats des luttes qu’il réalise aura tendance à accepter plus facilement une radicalisation facile consistant à essayer de passer par force ce qu’il n’a pas pu passer dans la lutte « conventionnelle ». Ne voyant pas non plus les résultats de ces « bras de fer » (pour lui attribuer un nom) entre les groupuscules autonomes et l’État bourgeois, l’apathie et le défaitisme reviennent avec force. Et tout cela peut être fait sans abandonner les positions réformistes, restant dans une fausse « radicalité de gauche » qui pourtant dans l’analyse marxiste se rapproche plus à une déviation de droite.

Le militant communiste formé doit s’armer de sa propre connaissance du développement de la lutte de classes, pour laquelle l’organisation communiste se dote d’une stratégie et d’une tactique. Ces deux outils politiques indispensables sont le rappel constant pour le militant communiste que la lutte de classes et le mouvement révolutionnaire passe par des stades de développement, que le « grand soir » que certains attendent n’existe pas et qu’on entame une lutte qui va durer des années, voire des décennies, contre l’État bourgeois. À chaque moment il faut la préparer le prochain pas de la lutte pendant qu’elle se déroule, tentant de concilier nos aspirations ultimes avec son état de développement. Cette longue lutte va nous demander des années de travail, des victoires et des défaites, de la joie et de la rage. Tant la radicalisation (pour la précipitation) que le défaitisme sont souvent produits de l’impuissance à laquelle tout militant est soumis. Mais on est déjà préparés d’avance : d’outils politiques, la tactique et la stratégie deviennent aussi des outils psychologiques pour le militant contre la précipitation et le défaitisme.

– Social-pacifisme

D’autres militants ont réagi au BB avec une position très simple : le refus total et complet à toute forme de violence. C’est la position social-pacifiste. Sur les réseaux un militant est arrivé à accuser le BB de s’éloigner de « L’humain d’abord » (Slogan du PCF révisionniste), ce qui est très révélateur de la nature de cette position. La position des marxistes-léninistes par rapport à cet engagement est claire et nette : nous ne refusons pas à la violence comme outil révolutionnaire. Dans l’histoire de la théorie et la pratique marxiste-léniniste jamais il y a eu renoncement à la violence. L’idée du renoncement à la violence dans le mouvement communiste est très ancrée dans l’histoire des partis communistes européens dans la deuxième moitié du 20ème siècle, après la théorie opportuniste khroutchévienne du passage pacifique et parlementaire au socialisme adoptée par le PCUS en 1956 et sa matérialisation définitive dans l’eurocommunisme des années 1970.

La réfutation s’avère plus facile dans ce cas que les points précédents. L’action du Parti et de la Jeunesse Communiste vise à exacerber la lutte de classes jusqu’à la lutte directe pour le pouvoir politique au sein de l’État, l’avant-garde dirigeant le côté ouvrier et populaire dans cette guerre de classes. Il est tout simplement impossible de réaliser cet objectif sans pratiquer de violence. Une violence dont le prolétariat et le Parti Communiste ne seront pas initiateurs ou responsables, car l’initiative de la violence dans la lutte de classes tombe sur la bourgeoisie qui, dans la décomposition progressive du capitalisme qui entrave le développement des forces productives, imposera par la force et la violence des conditions de plus en plus misérables aux masses exploitées et soumises au capital. Le prolétariat et l’avant-garde communiste ne sont pas violents en soi, ils répondent avec une violence grandissante à la violence aussi grandissante infligée sur eux par l’exploitation et la dictature bourgeoise. Le prolétariat ne veut pas la violence, mais il sera obligé de l’exercer pour avancer des positions dans la lutte de classes. C’est une perspective qui effraie pas mal de militants, communistes ou juste militants avancés que l’avant-garde a le devoir d’incorporer à ses rangs. L’effroi que cette idée provoque est complètement justifié. Mais encore une fois la tactique/stratégie et le développement dialectique de la lutte de classes viennent au secours du militant. La violence viendra dans le développement de la lutte de classes comme une réaction de colère populaire politiquement contrôlée contre les exploiteurs. Et les militants d’avant-garde sentiront eux-mêmes cette colère et ils apprendront dans la lutte même, aux côtés du prolétariat, à réaliser la violence et s’en servir pour réaliser leur intérêt de classe l’intégrant à la tactique et la stratégie. Car la lutte des classes est une lutte violente. Les prolétaires auront à répondre à la violence de classe bourgeoise – licenciements, exploitation, précarité, misère, répression – par une violence de classe ouvrière – expropriation, grèves, occupations d’entreprises, d’infrastructures (banques, logements vides), renversement révolutionnaire de l’État bourgeois.

Bref, renoncer par principe à la violence suppose dans les faits renoncer à la lutte de classe pour le monopole ouvrier et populaire du pouvoir politique, renoncer à la construction du socialisme, renoncer en un seul mot au rôle historique du prolétariat. Cette position est ainsi cohérente avec celles du révisionnisme et du réformisme, pratiquant une certaine conscience de classe non aboutie qui s’exprime non seulement dans l’acceptation théorique ou non de la violence, mais aussi dans les méthodes d’analyse matérielle de la réalité concrète, dans les méthodes d’organisation, d’action, du jeu d’alliances, etc. Cette position est donc loin d’être politiquement neutre par rapport à l’action de l’avant-garde ouvrière et il faut la dénoncer sur les bases du marxisme-léninisme, qui préconise la violence non comme une méthode sacrée mais comme une méthode nécessaire imposée par la lutte de classes et que l’avant-garde saura utiliser à la juste mesure, avec discipline, pour l’accomplissement de ses objectifs de classe.

– Mystification de l’organisation, acriticisme et immobilisme

Bien sûr, d’autres militants immergés dans la politique opportuniste et réformiste incarnée dans la direction de la CGT et qui s’enracine dans la tradition de « culte des sigles » du PCF révisionniste accusent les uns et les autres de s’écarter des mots d’ordre de l’opportunisme qui ne devraient pas selon eux faire débat : manifestations, soumission à la direction, immobilisme dans la forme et le contenu des actions syndicales. Ils répudient le BB parce qu’il s’écarte des méthodes préconisées par les directions syndicales ou politiques. Donc ils pourraient aussi répudier tout militant avancé qui proposerait une opposition aux méthodes figées, aux directions syndicales, à la ligne politique réformiste. À la base de cette position se trouve l’ignorance ou le mépris de l’objectif de classe du prolétariat qui est la prise révolutionnaire du pouvoir politique. Ou pire encore, un réformisme de bas niveau conjugué à un culte de l’organisation syndicale telle qu’elle a existé pendant les quarante dernières années : alliée à l’aristocratie ouvrière, ingénieurs et cadres ; intégrée aux structures de l’État bourgeois (ce qui n’est pas mauvais en soi), y ayant trouvé un certain confort dans la réponse modérée aux attaques de la bourgeoisie contre la classe ouvrière. En gros, le courant syndical de la Confédération Européenne des Syndicats, intégrée dans les institutions impérialistes de l’Union Européenne.

Notre objectif stratégique nous laisse clairement voir que de tels militants ne sont qu’une entrave au développement du mouvement révolutionnaire ; le plus souvent des plus récalcitrants car il s’agit d’anciens militants du syndicat qui y occupent souvent des positions dirigeantes. Une organisation prolétarienne, quelle qu’elle soit, ne repose jamais sur le culte de la direction car le gros du prolétariat n’a pas, à différence de son aristocratie, de privilèges à sauvegarder. Les alliances du prolétariat se font sur la base de l’accomplissement des objectifs établis dans les instances démocratiques. La fixation des directives, des directions, des méthodes, ne répond qu’aux intérêts de l’aristocratie ouvrière qui veut à tout prix garder ses privilèges corporatistes et qui méprise les tentatives prolétaires d’avancer vers la construction d’un mouvement révolutionnaires avec l’aspiration d’avancer des positions dans la lutte de classes. Les militants communistes, dans le mouvement syndical mais pas seulement, doivent s’allier aux nombreux militants avancés pour mettre en échec de telles positions immobilistes qui entravent leur développement dialectique. Ceci permettra aussi d’élargir la base militante de l’avant-garde en les intégrant à nos structures de Parti et de Jeunesse.

– Réactions justes provenant de militants avancés

Les militants les plus avancés du syndicat, ceux qui connaissent théoriquement les classiques du marxisme ou juste ceux qui connaissent du moins la logique de la lutte de classes sans forcément arriver jusqu’au bout, appellent de leur côté au calme mais pas pour autant à l’inaction. Il ne s’agit pas ici seulement des militants organisés ou pas qui pratiquent le marxisme-léninisme, mais de ceux qui sont capables de voir un peu plus loin, de tirer des conclusions correctes, ne serait-ce que partiellement ou de façon non aboutie. Par exemple, on pourrait hypothétiquement classifier ici le militant qui rejette la pratique du BB mais qui ne refuse pas par principe la violence, démontrant ainsi un certain sens de l’organisation ouvrière et de son importance pour l’ensemble du mouvement sans pour autant tomber dans la mystification de l’organisation qu’on vient de décrire plus haut ou dans le rejet stérile de la violence par principe. Ou le militant qui fait un léger refus de la violence mais qui est conscient du besoin que le mouvement avance vers de nouvelles positions de lutte contre l’État bourgeois. Il pourrait y avoir des dizaines de réactions différentes au BB qui rendent manifeste qu’un militant a un niveau politique plus avancé que la majorité des militants.

Il ne faut pas confondre : dans n’importe quel front où un militant communiste réalise son action, le militant le plus avancé n’est pas celui qui montre plus de « radicalité » dans son discours. Les assemblées étudiantes sont par exemple remplies d’exaltés qui, euphoriques de la réussite initiale du mouvement, vont plus loin que leur raisonnement peut leur permettre et préconisent des chimères qui peuvent potentiellement provoquer la défaite ou l’effondrement interne du mouvement. Comme décrit plus haut, ce genre de militants se dégonflent si vite qu’ils s’exaltent et finissent par tomber dans l’apathie et le défaitisme. Le « militant avancé », clé dans le processus actuel de construction et d’accumulation de forces de notre organisation, est celui dont la vision s’ajuste le plus à l’idée du développement dialectique de la lutte de classes. Cette vision est le plus souvent non aboutie ou incomplète : il peut ne pas prendre en compte l’objectif ultime de la prise révolutionnaire du pouvoir, ne pas avoir compris à la perfection le rôle de chaque classe ou couche sociale dans cette prise de pouvoir, ne pas connaître l’existence de la plus-value ou ne pas conceptualiser la différence tactique/stratégie même s’il l’applique de façon « instinctive ».

Les militants avancés, alliés objectifs des communistes dans les fronts et potentiels militants communistes, ne sont pas des marxistes-léninistes et on ne doit pas les prendre pour tels. Cependant on doit savoir les identifier pour agir ensemble dans les fronts et pour les rapprocher de notre organisation. Comme nous, ils seront contraires à toute soumission fétichiste à une organisation ou syndicat, à toute initiative non adaptée à l’état du mouvement à un moment donné, ils auront enfin une intelligence politique et un criticisme qui les fera apprécier nos propres positions. Ils sont en somme des précieux alliés dans les mouvements où on participe, pour soutenir nos positions, pour créer un courant « critique » proche de nos positions dans tout front et finalement pour les intégrer potentiellement à notre organisation. Un travail très important dans les fronts sera de trouver ces militants avancés, établir un lien avec eux, trouver les façons de les rassembler autour de positions proches des nôtres.

Conclusion : tactique et stratégie, les outils politiques les plus importants du léninisme

La tactique et la stratégie sont les outils politiques les plus importants du léninisme. Toutes les autres notions politiques du léninisme, unité d’action, centralisme démocratique, avant-garde prolétarienne, renversement révolutionnaire de l’État bourgeois et remplacement par la dictature du prolétariat y découlent. Et cela parce qu’elles s’adaptent à l’observation et l’expérience acquise de la lutte de classes, qui donne comme conclusion définitive son développement dialectique jusqu’au stade de la lutte entre la bourgeoisie et le prolétariat pour le pouvoir de l’État et au-delà.

La tactique et la stratégie sont la base sur laquelle le Parti de nouveau type –le Parti Communiste– fonde son originalité et son rôle historique. Sa flexibilité politique et organisationnelle et son caractère d’« état-major » de la révolution y découlent. Les deux concepts pré-conforment l’organisation léniniste en cellules centralisées démocratiquement, chargées de mettre en pratique la tactique sur le terrain ; et justifient le caractère d’avant-garde du Parti étant lui-même la seule organisation ouvrière à être consciente tant du but final que des chemins concrets à prendre pour y parvenir. En même temps elle est la seule à avoir assez d’expérience pour prendre les décisions les plus adaptées à chaque situation. Notre Parti et notre Jeunesse, qui viennent de naître, doivent s’endurcir, acquérir l’expérience nécessaire aux côtés du reste de la classe ouvrière dans le développement de la lutte de classes. Mais nos militants doivent aller plus loin : armés des outils d’analyse marxiste-léniniste ils doivent mieux analyser, tirer des meilleures conclusions, être les plus disciplinés, les plus dévoués. Le tout pour être les meilleurs référents du reste des militants dans les luttes, mais aussi pour acquérir l’expérience nécessaire pour construire la tactique et la stratégie et pour être en mesure de diriger audacieusement les mouvements dans lesquels notre Parti s’engage.

La tactique et la stratégie font que le marxisme-léninisme et le Parti Communiste (ensemble avec sa Jeunesse Communiste) ne rejettent à priori aucune méthode de lutte. Même la lutte parlementaire et pacifique en est une, notre manque de foi en cette voie se justifiant justement par le fait que le développement dialectique de la lutte de classes fera que la bourgeoisie nous en fermera les portes car exerçant sa dictature elle contrôle à elle seule les parlements, les instances publiques. La violence politiquement organisée, sous contrôle du Parti Communiste se montre alors nécessairement comme la seule voie définitive. Une fois le pouvoir de l’État conquis, la bourgeoisie se battra pour récupérer les positions perdues. La tactique et la stratégie préconisent alors nécessairement la dictature révolutionnaire du prolétariat. La stratégie cherchera alors non plus de renverser la bourgeoisie, mais de la réprimer. La tactique sera vouée à contrer ses tentatives contre-révolutionnaires et à asseoir les positions prolétariennes dans chaque domaine de la production, dans chaque quartier, dans son alliance avant-gardiste avec la petite bourgeoisie et les couches moyennes de techniciens et intellectuels.

La compréhension de la tactique et la stratégie est vital pour tout militant communiste. Elles permettent d’inscrire la lutte à un moment donné dans la lutte générale pour le socialisme-communisme et de comprendre en profondeur les temps de la lutte de classes, son évolution et sa situation à un moment donné par rapport à son objectif révolutionnaire.

Dans un moment où le mouvement communiste est en pleine construction et reconfiguration en France, ces concepts doivent diriger notre action pour accomplir au mieux les tâches immédiates du renforcement de notre Parti quantitative et qualitativement. Le Parti ne naît pas avant-garde, il le devient. Nous, militants marxistes-léninistes, devons travailler pour le renforcement du Parti Communiste Révolutionnaire de France et de l’Union de la Jeunesse Communiste en tant qu’organisations, qui passe forcément par le militantisme intense, l’apprentissage de la pratique et des lectures théoriques, qui sont la trace des enseignements de la pratique de nos aînés du mouvement communiste historique. Notre travail dévoué et patient à travers les années, conscients des lois du développement dialectique de la lutte de classe et munis des concepts basiques du léninisme, doit nous amener à accomplir le but historique du prolétariat : la révolution socialiste et la destruction de toute exploitation.

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1 Qui ne réfère pas aux soviets des peuples de l’URSS concrètement, mais à leur essence : « L’essence du pouvoir soviétique est dans le fait qu’à la base permanente et unique de tout le pouvoir et de tout l’appareil d’état est l’organisation de masses des classes qui étaient opprimées par le capitalisme, c’est-à-dire, des ouvriers et semi-prolétaires. Maintenant [ces organisations] sont incorporées à la participation permanente, indéfectible et en plus, décisive, dans la direction démocratique de l’État » Lénine, « Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature du prolétariat », 1er Congrès de l’IC.

2 Par exemple : Marx « Critique au programme de Gotha », Lénine, « L’État et la Révolution » « La maladie infantile du gauchisme du communisme » « Thèses sur la démocratie bourgeoise et la dictature du prolétariat [Texte adopté par le 1er Congrès de l’Internationale Communiste] » ; Staline, « Les bases du léninisme » ; Jean-Luc Sallé « Stratégie et tactique de l’URCF ».

3 Par exemple la critique marxiste-léniniste du marxisme-léninisme-maoïsme, opportunisme de gauche qui prône une stratégie universelle – la stratégie de la « guerre populaire universelle » – et qui fige par conséquent le contenu et la forme de la stratégie que le Parti Communiste d’avant-garde doit avoir.