Racisme, colonialisme et capitalisme

L’assassinat de George Floyd par un policier étasunien le 25 mai 2020 a donné lieu à des mouvements de protestation dans le monde entier et rappelle à quel point le racisme, qu’il soit institutionnel ou “ordinaire”, est encore prégnant dans notre société. Face aux tentatives de récupération des capitalistes, on ne saurait rappeler que leur mode de production pourrissant, qui va nous apporter chômage, précarité et misère dans les prochains mois, est un catalyseur du racisme.

Le racisme provient de la colonisation. Il désigne l’idéologie de la séparation hiérarchisée (physique et catégorielle) des sociétés humaines en de prétendues “races”. Avec les entreprises de conquête du monde et de nouvelles parts de marché au XIXe siècle (entamées dès le XVIIe siècle), le racisme permit de justifier le colonialisme par une prétendue “supériorité de la civilisation occidentale”. C’est toute la lecture d’idéologues du XIXe siècle (Tocqueville, Gumplowicz, de Gobineau – cf. l’ouvrage de Domenico Losurdo, « la lutte des classes, une histoire politique et philosophique ») qui émirent la thèse d’une “lutte des races”, avec une “race européenne” supérieure et conquérante, la race étant alors “la clé de l’histoire” (Benjamin Disraeli).

Cette une du petit journal de 1911 illustre parfaitement la vision des colonialistes et leur justification par « l’apport de la civilisation », telle une mission prophétique

Les capitalistes occidentaux ont eu alors pour rhétorique “d’apporter la civilisation aux sauvages”, cette “mission civilisatrice” étant un leurre pour justifier la barbarie, la mort, la destruction, l’exploitation et l’esclavage que les Occidentaux apportèrent dans les régions colonisées. Il suffit de voir les massacres en Afrique, les populations chassées de leur territoire, les émigrations forcées, les journées de travail obligatoires et l’exploitation féroce parfois jusqu’à la mort (Congo-Océan avec ses plus de 17.000 morts en 1934). Car le but n’était pas “d’apporter la civilisation” (dont le concept est à interroger par ailleurs) mais d’exploiter les peuples et les ressources, dans le but d’accroître le capital et la richesse d’une poignée d’individus. Le XIXe siècle est celui de l’enrichissement de l’“Occident” sur le dos du monde entier.

Les colonisateurs capitalistes ont ainsi répandu au sein des populations occidentales l’idée d’une division du monde en civilisations prétendument supérieures et inférieures afin de justifier leurs actions. Le racisme sert à entretenir une division entre les travailleurs. Ainsi, en suivant cette logique, pour l’ouvrier blanc l’ennemi n’est donc pas le bourgeois mais l’ouvrier noir, l’ouvrier asiatique, l’ouvrier arabe, etc. Cette division peut être constatée dans tous les pays qui possèdent une histoire coloniale. L’un des exemples les plus flagrants à ce sujet est celui de l’Angleterre et de l’Irlande colonisée depuis le XVIIe siècle : l’Angleterre entretenait chez les travailleurs anglais l’idée d’une “race celte” inférieure et d’un Irlandais venant en Angleterre pour voler le travail de l’honnête anglais. Au racisme se mêle ou se substitue la xénophobie, où le travailleur étranger est un concurrent et un potentiel voleur d’emploi. Dans tous les cas, on voit que cela sert directement les intérêts de l’ordre capitaliste, dans la mesure où la concurrence entre les ouvriers détruit leur conscience de classe et leurs intérêts communs. Cet exemple rappelle certaines rhétoriques entendues encore aujourd’hui et rappelle que le racisme ne peut pas être réduit à la simple différence de couleur de peau. Il s’explique au contraire par la position des individus dans un système impérialiste qui entretient, catalyse et crée des divisions absurdes et anti-scientifiques au sein de la population, au sein du peuple-travailleur. Aujourd’hui encore, les théories racistes telles que le “choc des civilisations” viennent saper la conscience de classe des travailleurs, supercheries intellectuelles qui servent à légitimer les entreprises et les interventions impérialistes dans le monde.

Aux États-Unis, l’État a une nouvelle fois démontré son caractère raciste par l’énième assassinat d’une personne noire. L’institution policière est en cause, même si certains accusent le policier en tant que personne blanche. En effet, c’est un problème systémique qui gangrène la société américaine – et quand on dit systémique, il faut prendre en compte la donnée du système impérialiste qui encadre les violences policières, aux États-Unis mais aussi en France, etc. C’est bien parce qu’il y a un État bourgeois, un État au service des capitalistes et de l’exploitation capitaliste, que les violences policières peuvent exister : les individus ne sont rien d’autres que de la force de travail qu’il faut maintenir dans l’obéissance et la docilité, qu’il faut réprimer lorsqu’ils deviennent séditieux. Les faits racistes de la police sont donc les faits de l’État, et non d’une ou d’une minorité de personnes blanches. On voit bien toute la dimension de classe du racisme, avec la tolérance voire la protection des suprémacistes blancs par l’État bourgeois américain qui en est le bénéficiaire ultime (en France, même tolérance envers les groupes nationalistes et d’extrême-droite).

Face à l’assassinat de George Floyd et de toutes les personnes noires, des voix s’élèvent et le mouvement ne fait que grandir. On voit ici toute la dimension de classe s’activer dans cette lutte pour la reconnaissance des droits des individus : ce sont les liens sociaux au travail, dans les quartiers, dans les lieux d’études, qui activent la solidarité des travailleurs de toutes origines, de toutes couleurs de peau, dans la rue contre le racisme et contre l’État bourgeois.

On ne peut que sourire ironiquement face aux bourgeois qui décident d’apporter leur soutien au mouvement. Ce sont les mêmes qui profitent du racisme, qui décident de “s’allier” à la masse du peuple-travailleur qui s’y oppose, afin de récupérer le mouvement, légitimer leur domination sociale et faire des profits. Microsoft, Starbucks ou encore Victoria’s Street, pour n’en citer qu’une poignée, affichent leur soutien aux personnes noires et leur opposition au racisme. Un semblant d’humanité les aurait-il touchés ? Peut-être. Si l’on considère qu’il y a de l’humanité chez Microsoft à utiliser du cobalt extrait par des enfants dans des mines en République Démocratique du Congo ; si l’on considère qu’il y a de l’humanité chez Starbucks à utiliser des grains de café récoltés par des enfants dans des plantations au Guatemala, au Kenya, au Costa Rica et au Panama ; si l’on considère qu’il y a de l’humanité chez Victoria’s Secret à utiliser du coton extrait par des enfants dans des plantations au Burkina Faso. Une belle opération pour laver leur image, en somme.

On voit encore une fois que l’humanité des capitalistes n’est qu’un masque. Leur unique but est la recherche constante du profit et s’il faut poster des carrés noirs et des messages de sympathie avec les personnes noires, avec un semblant d’antiracisme afin de se donner une bonne image et d’attirer des consommateurs, ils le feront sans hésitation. Mais s’il faut exploiter le travail d’enfants noirs, ils le feront aussi.

En fait, c’est tout leur système capitaliste qui est pourri et qui impose la barbarie dans le monde. Le racisme profite à ce système et s’il lui faut attiser le racisme les capitalistes le feront. Même s’ils prétendent soutenir les mouvements contre le racisme, dans tous les cas, le racisme perdurera tant que le capitalisme vivra. Malgré les concessions qui pourront à tout moment être reprises, il perdurera, par l’exploitation des pays africains, asiatiques et d’Amérique latine, par la division des travailleuses et des travailleurs entre eux via l’entretien de la division artificielle du monde en “races” ou en “civilisations”. Finalement, le racisme ne pourra réellement prendre fin qu’avec le renversement du capitalisme. Seul le socialisme-communisme sera en mesure de combattre le racisme à la racine, en créant un système destiné aux besoins des individus et fondé sur l’union pacifique des peuples et sur la solidarité de classe, peu importe la couleur de peau, les origines, etc.

Rox