Bolloré, Gallimard : la monopolisation des médias au service du capitalisme

« Comme les autres médias de masse, l’édition participe à la transformation du public en masse : par l’organisation d’une production de plus en plus centralisée et des moyens financiers de plus en plus grands ; par l’instauration de modalités de redistribution des gains ainsi que de la gestion des investissements qui sont favorables aux dirigeants et à l’élite des cadres d’entreprise ; par son rôle dans l’augmentation de la disproportion numérique entre les donneurs et les receveurs d’opinioni »

Depuis quelques années le monde de l’édition vit une épopée monopoliste, et celle-ci viendrait donc se terminer avec la prise du contrôle (OPA) de Vincent Bolloré sur l’entreprise du libre Hachette Livre – et même d’Europe 1, du JDD, et de Paris Match, qui appartenaient jusqu’à présent à Jean-Luc Lagardère – cette nouvelle ne surprenant plus les nombreux syndicats et gérants des quelques dernières librairies indépendantes en France ; et ne surprend qu’à moitié ceux qui suivent d’un peu plus près le projet réactionnaire et monopoliste de V. Bolloré de contrôle de l’information et de la pensée.

Alors, si certains se sentent rassurés à l’idée d’une intervention du joug libéral et l’interdiction d’un tel monopole comme vu auparavant en 2004ii, comme le rappel un professeuriii, Hachette-Livre est une multinationale, et l’Angleterre post-Brexit, et bien d’autres pays hors Europe, ne vont guère être limités en la matière de vente et circulation unique du livre. Aussi, le multimilliardaire se présente comme un concurrent aux GAFAM et se valorise tel de son sacrifice pour faire jeu égal en Europe contre l’association financière américaine, mais cela ne tient guère dans la balance rhétorique puisqu’en France, Amazon ne dépasse guère les 10 % de part de marché et tant la diffusion s’opère majoritairement aujourd’hui via les plateformes prévues à cet effet des groupes Auchan et Leclerc. Alors que Editis et Hachette représentent ensemble 33 % des ventes d’exemplaires, 50 % de la diffusion et 60 % de la distribution.

Bolloré, depuis quelques temps, ne cache plus son intention réactionnaire par le soutien financier du fascisant Eric Zemmour, ayant aussi, pour faciliter cela, racheté une bonne partie de divers médias et ayant même offert au bouquet télévisuel la toute première chaîne d’extrême droite, offrant une année complète de préparation au candidat des présidentielles pour diffuser sa pensée. L’accomplissement hégémonique touche à la perfection lorsque l’on contrôle la production de l’information et qu’on en vient à contrôler la production et la diffusion de la pensée.

Enfin, dans ce grand marasme médiatique, la parole n’est pas souvent donnée aux petits indépendants mais l’on retrouve toujours à la tête du braillement intempestif Antoine Gallimard et Nyssen Françoise des éditions Actes Sud. Se ventant d’être la contradiction face aux grands calculateurs, eux seraient de respectables indépendants. S’armant publiquement de l’épée du désintéressement, Antoine Gallimard sait se faire discret lorsqu’il faut parler du nombre de librairies indépendantes qu’il a rattachées à son entreprise, ou qu’ il fustige ces dernières d’être responsables du coût élevé de la production. Quant à Nyssen Françoise, elle préfère parler, en adoptant sans soucis la novlangue néolibérale, « d’ensemble horizontal », qui veut simplement dire groupe capitaliste, et elle aussi participe au long processus de monopolisation du monde de l’édition.

Comme le demande Thierry Discepolo dans son livre La trahison des éditions, « Ce qui est une loi du genre partout où règne le pouvoir du capital ne s’appliquerait pas ici ? ». Il semble alors « que comme d’autres, le groupe Gallimard (et Actes Sud) fait de nécessité vertu quand il tient le rôle de concurrent malheureux ». Ainsi, « L’édition actuelle n’échappe pas au constat établi pour l’ensemble des médias français : un niveau d’imbrication avec l’industrie comparable aux temps de la IIIe République ».

PM


i Thierry Discepolo – « Introduction », , La Trahison des éditeurs. sous la direction de Discepolo Thierry. Agone, 2017, pp. 9-18.

ii En 2004 à l’issue d’un année d’enquête, Jean-Luc Lagardère avait dû finalement se séparer à la demande timide de la Commission Européenne de quelques actifs lorsqu’il avait racheté la totalité du groupe Vivendi Universal Publishig.

iii https://www.francetvinfo.fr/culture/livres/seisme-tsunami-catastrophe-pourquoi-le-projet-de-rachat-d-hachette-par-bollore-met-en-panique-le-monde-du-livre_4964958.html