Le fétichisme de la marchandise selon Johnny Hallyday

Le cortège funèbre de Johnny Hallyday a parcouru ce samedi les Champs Élysées en grande pompe et avec une affluence de public, de célébrités et de hauts fonctionnaires digne de funérailles d’État. C’est d’ailleurs exactement cela qu’on a pu voir dans le grand déploiement de moyens logistiques et de communication. Un grotesque spectacle dans lequel des centaines, voire des milliers de personnes sont descendues à la rue pour dire son dernier adieu à… une marque commerciale, une marchandise produite par le capitalisme ! Parce que oui, les artistes sponsorisés par la bourgeoisie ne sont qu’une image, un aggloméré d’éléments soigneusement choisis et travaillés médiatiquement, et non pas des personnes à proprement parler. Le fan disant qu’il connaît Johnny Hallyday oublie qu’il ne le connaît pas lui même, mais la « chose » que la bourgeoisie a construite et à laquelle un Jean-Philippe Smet a donné un support physique, un corps, un visage, une voix.

Le support physique donc de cette « chose » vient de mourir et la classe bourgeoise, à travers ses nombreux moyens de communication, s’empresse d’étaler son artifice idéologique préféré, qui n’est autre que le fétichisme. On a supporté alors sur la télé, sur les réseaux sociaux, dans la rue, les bars, etc. un hommage après l’autre à une marque, à une marchandise créée et exploitée par la bourgeoisie pour son profit et la diversion idéologique des masses prolétaires. La personne est confondue avec la marchandise et le résultat est qu’aujourd’hui on a assisté à l’équivalent d’un hommage d’État à Coca-Cola, iPhone ou aux Quatre Fantastiques. Macron donnant un solennel discours à l’honneur du dernier shampoing l’Oréal et disant que ce shampoing « est plus qu’un shampoing, il est la vie » : ça a l’air d’un délire ? Oui, et pourtant c’est ce qui s’est passé aujourd’hui à Paris.

Passons par dessus le fait qu’on a vu une presque-violation du principe de laïcité quand Macron a participé à l’hommage accompagné de hauts représentants du diocèse de Paris – on se pose la question, aurait-il participé à une cérémonie musulmane aux côtés d’un imam si Johnny Hallyday avait été musulman ? La grande question est à quel point on est arrivé à une fusion entre la marchandise et la population dans l’idéologie pour voir des aberrations pareilles. La grande différence avec d’autres funérailles d’État est que celles-ci ne rendent pas hommage à une figure politique, à un représentant de la bourgeoisie comme dans le cas récent de Simone Veil, ou même à un bourgeois proprement dit, mais à une marchandise. Ou plutôt au reflet d’une marchandise, à son support physique comme on évoquait plus haut, parce que la marchandise elle-même continuera à dégager des profits encore plus grands après ce coup de pouce publicitaire. L’État vit pour et par l’existence des marchandises, et leur fusion s’est aujourd’hui révélée de façon explicite. Et parmi la population ouvrière et populaire la mort de Johnny Hallyday est devenue une affaire de la plus grande importance, nombre d’exploités s’agenouillent à l’appel des exploiteurs en adorant une marchandise, pendant qu’ils croient adorer une personne proche et connue. L’utilisation par la bourgeoisie de cette icône qui ne payait pas d’impôts s’inscrit dans un contexte de régression sociale, où tout est bon pour détourner l’attention des masses et désengager celles-ci de toute volonté de résister et de s’organiser.

Malheureusement diront certains, le matérialisme vient dévoiler les tordus rapports objectifs derrière tout fait de propagande capitaliste. La fausse transparence de l’étrange spectacle qu’on a vu aujourd’hui s’achève quand on remarque que Johnny Hallyday était en réalité une « machine à fric », un produit de consommation culturel raffiné à travers les décennies, rendu quotidien à travers la publicité, les apparitions médiatiques ou la reproduction de sa musique. S’il existe c’est parce qu’il jouait un rôle important dans la reproduction du capital et, au passage, divertissait les masses ouvrières pour qu’elles ne pensent pas trop à leurs galères. Et dans sa dernière journée médiatique Jean-Philippe Smet a sublimé ce qu’il avait fait pendant presque 60 ans en tant que Johnny Hallyday : faire croire que les produits du capitalisme ont une vie propre, une existence propre à laquelle il vaudrait le coup de dédier toute une vie d’adoration.