En cette période de crise sanitaire, il est fréquent de voir ceux qui évoquent une revanche de la « nature » sur l’« homme ». Il est même déroutant d’entendre parfois parler du fait que l’homme serait le véritable virus, en lien avec une pollution moins élevée depuis le début du confinement, dans le même temps que les médias parlent d’une « nature qui reprend ses droits » dans les centres urbains.
Plus globalement, nous vivons dans une époque où les questions écologiques suscitent des attitudes et modes de pensée survivalistes et eschatologiques, avec l’imminente et inéluctable fin du monde comme idée de fond permanente. À ce titre, il était surprenant de voir des individus se battre pour du papier toilette, comme si cette marchandise aidait particulièrement à survivre et qu’elle allait forcément manquer, et que le confinement était une sorte de reconstitution grandeur nature d’un film catastrophe où amasser le plus de marchandises au mépris des autres était une solution de long terme. Car il s’agit bien de voir que la collapsologie est prégnante depuis plusieurs années et ses formes d’expressions communes, à tel point qu’elle a des influences sur nos comportements et nos représentations. Émanant à la fois des productions artistiques (films, séries, livres, etc.), des groupes politiques (Extinction Rebellion, par exemple) ou même de médias populaires (Konbini avec notamment Hugo Clément).
Le point commun de toutes ces formes réside dans le fait de placer l’humanité tout entière face à l’éminence probable de son extinction. L’urgence écologique et le réchauffement climatique seraient ainsi les vecteurs de cette extinction, annonciateurs d’une revanche de la « nature » sur un homme qui l’exploite depuis trop longtemps. Mais jamais ou très peu il n’est mentionné le lien de cause à effet, c’est-à-dire celui d’une dégradation de l’environnement par un mode de production déterminé ; l’idéologie catastrophiste bourgeoise place toujours l’humanité entière face à un tel désastre, une humanité abstraite au-dessus des classes sociales qui serait la seule responsable de sa probable extinction.
Dans les films catastrophes comme 2012, c’est souvent une fin du monde approchant à grand pas qui pousse les populations soit à affronter et surmonter la catastrophe en s’adaptant aux nouvelles conditions du milieu, soit à fuir la Terre pour une nouvelle planète. Ces films ont en commun le fait de suivre les pérégrinations du ou des héros, entre des tonnes d’effets spéciaux, dans une lutte pour la survie de l’humanité. À la fin, l’humanité est sauvée et les gouvernements et les sociétés restent très souvent les mêmes. Dans 2012, on voit fuir la reine d’Angleterre et la fille du président américain devenir l’une des prochaines dirigeantes des rescapés. Nous pouvons en tirer ici le fait que le propre de l’idéologie dominante est de créer des barrières de pensées, de délimiter des perspectives de choix imposés. Les grands monopoles cinématographiques se font de l’argent à partir de telles productions artistiques avec des films ressortant souvent le même message avec les mêmes structures de scénario : la fin du monde n’est pas la fin d’un mode de production devenu obsolète et dangereux, mais c’est la fin de l’humanité entière.
On voit donc bien une barrière de la pensée produite et alimentée par l’idéologie dominante. Ces abstractions (l’humain, l’humanité, la nature, le monde) se traduisent dans la pratique par une dépolitisation : dans la représentation de l’humain face à la nature, nous pourrons jouer notre rôle dicté en triant nos déchets, en consommant équitable, tout en prenant bien garde de ne pas mettre en question le modèle capitaliste qui ne fait pas partie de cette représentation. Et cela se retrouve dans les discours de groupes politiques : si Extinction Rebellion, pour ne citer qu’eux, prétend proposer un autre modèle de société, ne nous y trompons pas, c’est un modèle utopique qui utilise une rhétorique toujours abstraite de « retour à la nature ». Bien plus, c’est une vision réactionnaire qui rejette toute possibilité de progrès scientifique ou de changement de nos conditions de vie matérielles vers l’avant, c’est-à-dire vers le renversement révolutionnaire du capitalisme et la construction d’un système socialiste, qui prend en compte les besoins des peuples-travailleurs dont l’environnement fait partie (cf. notre brochure sur la crise environnementale). Ainsi, tout rapprochement d’une quelconque manière avec des éléments de l’idéologie bourgeoise sert l’idéologie bourgeoise. Expliquer par exemple que le coronavirus est une revanche de la nature sur l’homme, n’est autre qu’une diversion du réel problème : le système capitaliste qui a détruit le système de santé publique et qui est donc une véritable menace pour la vie des peuple-travailleurs et de leur jeunesse.
Bross