Honeywell, pénurie de masques : le capitalisme responsable

« Nous sommes en guerre » : tel était le message d’Emmanuel Macron lors de son allocution télévisé du 12 mars 2020, introduisant la rhétorique martiale d’Emmanuel Macron et du gouvernement Philippe utilisée encore aujourd’hui. En guerre contre qui ou quoi ? « Contre un ennemi invisible et insaisissable […] » : le Covid-19. A partir de là, les critiques ont fusé de toute part et surtout des soignantes et soignants, à cause du décalage abyssal entre les discours et la réalité. « On nous envoie en première ligne, sans matériel pour nous protéger » accuse une infirmière de la Pitié-Salpêtrière. Pour la protection des soignants dans la lutte contre cette épidémie, il est nécessaire de les équiper massivement en masques FFP2 sachant qu’il faut en changer toutes les 3 à 4 heures. La France importe donc tous ses masques en faisant face à tous les pays (y compris de l’Europe) qui tirent la couverture de leur côté en volant les commandes d’un tel ou d’un tel.

Alors que le gouvernement communique sur sa volonté d’assurer l’indépendance de la France dans la production de masques en tissu pour le grand public tout en important des masques FFP2 et chirurgicaux via un pont aérien avec la Chine, la fermeture en 2018 d’une usine qui pouvait fabriquer jusqu’à 200 millions par an de masques chirurgicaux et FFP2 refait surface créant le scandale : l’usine de Plaintel (Côtes-d’Armor). Lors de son rachat par Honeywell en 2010, l’usine compte 140 salariés. Mais 1 an plus tard, le groupe annonce 43 suppressions d’emplois et les plans de licenciement s’enchaînent, le chômage partiel devient la règle. Durant l’été 2018 les 38 derniers salariés de l’entreprise sont licenciés pour motifs « économiques », l’usine ferme finalement ses portes en septembre 2018 avec destruction des lignes de production, et la production de masques est alors délocalisée en Tunisie. Lors de sa fermeture, l’entreprise ne produisait plus que huit millions de masques par an.

« Le fait qu’Honeywell n’essayait pas de vendre la totalité des produits que l’usine de Plaintel était en capacité de produire montre bien que le groupe voulait fermer le site, c’est tout, ajoute Antoine. D’ailleurs, ils encourageaient les salariés à partir. Dès que l’effectif est descendu sous la barre des 50 personnes, ils ont lancé le go pour la fermeture. » Damien, un autre ancien salarié de l’usine témoigne: « Il y avait une stratégie claire de fermeture de l’entreprise. Pour un groupe américain comme Honeywell, l’investissement doit forcément être remboursé par les bénéfices en six mois, c’est impossible ! Les investissements étaient donc interdits. Si on voulait lancer des nouveaux produits, c’était à nous de nous débrouiller, il n’y avait pas de crédit pour la recherche-développement. À l’époque de l’ancien propriétaire, le groupe Sperian, un nouveau masque sortait tous les quatre ans, j’en ai vu défiler trois. Avec Honeywell, aucun nouveau masque n’a été développé sur le site de Plaintel en huit ans. En fait, on cherche à faire mourir l’entreprise. » Serge Le Quéau, militant au syndicat Solidaires des Côtes-d’Armor, s’indigne : « Jamais la question de l’utilité sociale de cette production de masques n’a été abordée. C’est la logique du marché qui a prévalu. Fabriquer des masques à un moindre coût en Chine ou en Tunisie paraissait sensé pour nos responsables politiques et économiques. On voit bien aujourd’hui que c’est totalement absurde ! » Une ancienne salariée de l’usine s’insurge: « Personne n’a rien fait lorsque notre usine a fermé. C’est révoltant. On a eu l’impression qu’on nous laissait tomber. Quand je vois ce qui se passe en ce moment avec l’épidémie de coronavirus, je me dis : ‘Je devrais être en train de fabriquer des masques…’ »

La responsabilité de l’État, dans la continuité des choix politiques adoptés depuis plus de 30 ans par les gouvernements successifs (conservateurs, libéraux et sociaux-démocrates), est flagrante dans ce saccage industriel. Déjà à l’été 2018, les élus du personnel, à la demande des salariés, ont tenté d’interpeller par mail Emmanuel Macron expliquant que l’usine de Plaintel est « une entreprise d’utilité publique » dont Honeywell a tout fait pour la rendre « largement déficitaire. » Ensuite l’inspecteur du travail de Saint-Brieu, dans une lettre datée du 22 janvier 2019, estime que « le motif économique invoqué à l’appui de la demande de licenciement n’est pas avéré » et que « la seule volonté de majorer le profit de l’entreprise n’entre pas dans la définition des difficultés économiques. » Mais la direction générale du Travail désavoue l’inspection du Travail le 17 juillet 2019: « Si une partie des moyens de production ont été déménagés en Tunisie afin d’être réutilisés par une autre entité du groupe, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une entité juridique distincte de l’entreprise HSAP (Honeywell Safety Products Armor). De fait, la cause économique invoquée par l’employeur, à savoir la cessation totale et définitive de l’entreprise, doit s’apprécier au niveau de l’entreprise. Il est constant que la cessation totale et définitive de l’entreprise constitue une cause économique autonome sans qu’il n’appartienne à l’autorité administrative d’examiner la réalité d’éventuelles difficultés économiques rencontrées par l’entreprise en amont de la décision de cesser son activité. » Autrement dit : l’État n’a pas à interférer dans la décision, souveraine, d’Honeywell.

On retrouve exactement le même problème par rapport aux médicaments : les travailleuses et travailleurs de la santé font face également une pénurie de médicaments de réanimation (Curares, hypnotiques, corticoïdes, antibiotiques…). La situation est tellement catastrophique qu’un décret daté du 2 avril 2020 permet l’utilisation de médicaments normalement destinés aux animaux pour pallier la pénurie. Le texte précise en effet qu’« en cas d’impossibilité d’approvisionnement en spécialités pharmaceutiques à usage humain, des médicaments à usage vétérinaire à même visée thérapeutique, bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché […] de même substance active, de même dosage et de même voie d’administration, peuvent être prescrits, préparés, dispensés et administrés en milieu hospitalier. » Le gouvernement Philippe entend réquisitionner 5 médicaments de réanimation (le Midazolam, le Propofol, l’Atracurium, le Cisatracurium et le Rocuronium) pour centraliser les commandes de manière à les redistribuer entre les hôpitaux via les Agences Régionales de Santé. Même bien avant l’épidémie de Covid19, les personnels soignants faisaient face à une pénurie de nombreux produits pharmaceutiques pour assurer les soins de leurs patients, un collectif de médecins hospitaliers appelait même dès le mois d’août 2019 à une relocalisation de la production des principes actifs. Il faut en effet savoir que les principes actifs utilisés dans 80% des médicaments utilisés en France sont aujourd’hui produits exclusivement en Inde et en Chine. Selon la CGT, la France comptait dans les années 80 près de 470 entreprises de production de médicaments pour ne plus en rester que 247 aujourd’hui. Toujours selon la CGT, la France est passé en 20 ans, d’environ 50 ruptures de médicaments à près de 550 aujourd’hui.

Le capitalisme est seule et unique responsable de cette dilapidation du tissu industriel en France: l’intérêt de la bourgeoisie monopoliste étant d’accroitre ses profits en produisant toujours plus de marchandises ou en extrayant toujours plus de matières premières au coût le plus faible possible, cette dernière cherchera soit à précariser toujours plus le travail et à casser les conditions de vie sans oublier les conquêtes sociales et démocratiques des travailleurs(ses), soit à délocaliser la production industrielle vers des pays dont le coût de la main-d’œuvre est faible et avec une législation sociale quasi-inexistante. La Tunisie, où l’usine Honeywell a délocalisé sa production, est un pays dont le salaire moyen net est estimé entre 220 et 250 et le salaire minimum à 113 environ. L’Inde est un pays où les salaires sont très faibles et où la législation du travail est plus permissive qu’en France (par exemple, la limite de la durée du travail est fixée à 48h par semaine mais qui peut s’étendre jusqu’à 60 heures). Pour finir la Chine est un pays où non seulement le coût de la main-d’œuvre est plus faible mais où également la législation du travail est tout aussi permissive qu’en France. N’oublions pas le Bangladesh avec l’effondrement en 2013 de la Rana Plaza qui était un immeuble abritant plusieurs ateliers de confections pour le compte de grandes entreprises du textile (Mango, Primark…), mettant en lumière l’inexistence de la moindre législation sociale et de protection du travail dans ce pays.

Le capitalisme participe également à la casse de toute perspectives prometteuses pour des millions de jeunes travailleurs(es) et d’étudiants(es) qui faute notamment d’un solide tissu industriel implanté sont contraints de passer par une longue et pénible durée de chômage, soit par des emplois précaires sous-rémunérés (dans la restauration rapide, comme travailleur uberisé ou encore en enchainant successivement des stages et autres contrats précaires). Ces perspectives sont également assombries par la casse continue des services publics alors que ces derniers sont nécessaires également pour construire un puissant et solide tissu économique sur un territoire donné, mais qui continue toujours pour les besoins du grand capital. Contrairement aux discours et allégations des courants réformistes, le capitalisme « à visage humain » n’existe pas : le patronat, s’appuyant sur l’État capitaliste qui est son outil de domination de classe, cherchera en permanence à produire au moindre prix et à vendre au prix le plus élevé possible. Pour cela, il faut encore plus casser les conditions de travail et de vie des travailleurs et les pressurer dans le but d’y extraire toujours plus de plus-value, puisque de pires conditions de travail des travailleurs et travailleuses (moindre salaire, journée de travail plus longue et intense, moindres mesures de sécurité, etc.) impliquent plus de profits pour les capitalistes.

Au-delà des intérêts du patronat, c’est l’économie capitaliste de marché, dominée par le profit, qui n’est pas en mesure de subvenir aux besoins du peuple.

Refusons la démagogie patronale, qui fait appel à « la finance », aux « marchés », aux « impôts trop élevés » pour défendre leur quête meurtrière de profits, ce dont nous avons besoin c’est des médicaments et de l’équipement de protection que le patronat et son gouvernement nous refusent !

Soumettons les industries de première nécessité aux mains des travailleurs et travailleuses, pour une industrie médicale au service, non pas de l’avidité des actionnaires, mais des besoins concrets du peuple !

Aucun déconfinement le 11 mai si ce n’est en garantissant la sécurité des travailleurs et travailleuses et leurs enfants !

Vicken


Sources utilisées pour l’article :

https://www.cgt.fr/actualites/france/sante/penurie-de-medicaments-populations-en-danger

https://www.lci.fr/sante/huit-substances-actives-de-medicament-sur-dix-fabriquees-hors-de-l-ue-comment-en-est-on-arrive-la-2129869.html

https://www.nouvelobs.com/coronavirus-de-wuhan/20200328.OBS26724/des-hopitaux-au-bord-de-la-penurie-de-medicaments-indispensable-en-reanimation.html

https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041780609&dateTexte=&categorieLien=id

https://www.pourquoidocteur.fr/Articles/Question-d-actu/32268-Coronavirus-l-Etat-requisitionnera-medicaments-essentiels-reanimation

https://www.europe1.fr/sante/letat-va-requisitionner-cinq-medicaments-de-reanimation-3963816

https://theconversation.com/medicaments-a-quelles-conditions-pourra-t-on-relocaliser-la-production-des-principes-actifs-135643

https://www.lejdd.fr/Societe/tribune-penurie-de-medicaments-il-faut-relocaliser-la-production-en-europe-3914648

https://www.lefigaro.fr/conjoncture/les-delocalisations-a-l-origine-de-la-penurie-de-medicaments-en-france-20190811

https://www.rtl.fr/actu/debats-societe/medicaments-generiques-comment-sont-ils-fabriques-7791044294

https://www.usinenouvelle.com/article/les-medicaments-generiques-pas-assez-made-in-france.N187647

https://www.senat.fr/rap/r06-416/r06-4162.html

https://www.offshore-developpement.com/le-droit-du-travail-en-inde