L’évolution du chômage partiel acte le parasitisme et l’assistanat du grand capital français

Lutte de classes oblige : faute de consultation des travailleurs et travailleuses sur les issues de la crise capitaliste, les patrons ont choisi de la faire payer au peuple travailleur. Et ils n’ont pas choisi à moitié.

Le capital monopoliste français et européen en général est dépendant du dopage public dans les faits. Depuis des années et indépendamment de la fierté « entrepreneuriale » affichée par le patronat, le capital monopoliste est en France un parasite de l’État et de la Banque Centrale. Et ceci s’applique à la crise économique éclatée en 2008 mais aussi bien après. Dans le domaine de la politique monétaire, pour ne citer qu’un exemple, les politiques d’assouplissement quantitatif pour le secteur privé déployée par la Banque Centrale Européenne entre 2016 et 2018 ont injecté jusqu’à  80 milliards d’euros par mois de liquidités gratuites à des monopoles européens et français  tels que Total, Axa, Sanofi, Orange, Schneider Electric, LVMH, EDF ou Danone pour un total de plus de 1.6 billions d’euros. Plus récemment, la BCE a injecté début juin 2020 plus de 1.3 billions d’euros aux banques européennes à des taux  négatifs par le biais des dispositifs TLTRO : les banques se feront payer par la BCE pour donner des crédits et acheter des dettes qui eux-mêmes les rémunèrent ! Autant dire que le capital monopoliste est, en Europe, un mort cérébral maintenu en vie artificiellement. « Pour le fun », on fait remarquer que les presque 3 billions d’euros d’injections de liquidités de la BCE au capital monopoliste pour les seuls deux dispositifs énumérés (il y en a beaucoup plus !) s’écrivent 3.000.000.000.000 en chiffres. On ne peut pas dire la même chose des légions de petits commerçants et d’artisans qui devront fermer boutique d’ici quelques mois, contribuant à grossir les rangs de la classe ouvrière…

Cette dépendance du capital monopoliste  s’est accentuée avec la crise économique actuelle en termes de politique budgétaire. Les aides directes de l’État aux capitalistes depuis le début de la crise économique se comptent par centaines de milliards. Sous forme de liquidités directes comme les 15 milliards aux monopoles du secteur aéronautique (Air France, Airbus, Dassault, Safran…) et les 8 milliards aux monopoles de l’automobile et notamment Renault. Ou sous forme de report  de cotisations sociales et de taxes et de remboursement de crédits d’impôts dans un « plan de sauvetage » qui prévoit un endettement de l’État à hauteur de 100 milliards d’euros. Si on remarque que ces chiffres représentent non seulement des injections de liquidités mais aussi des exonérations de cotisations et d’impôts et de cotisations au capital, on arrive très rapidement à une conclusion qui dévoile le caractère de classe de la gestion de la crise : le capital devra payer moins, la classe ouvrière devra payer plus.

On n’a pas exprès parlé du chômage partiel jusqu’à maintenant. En ce qui concerne la sécurité sociale le patronat touche le jackpot avec le chômage partiel en inversant la logique de la sécu pour l’adapter à ses propres besoins. Un petit historique des changements très rapides depuis le début de l’année du dispositif de chômage partiel s’impose pour voir concrètement comment il a été redéfini par le patronat à son propre avantage :

CHÔMAGE PARTIEL

Ancien dispositif Nouveau dispositif (à partir du 1er octobre)

ARME (à partir du 1er juillet)

Modalité de mise en œuvre

Dossier à déposer auprès des DIRECCTE

Dossier à déposer auprès des DIRECCTE

Accord collectif (entreprise, groupe, branche)

Montant de l’indemnité pour le salarié

70% du salaire horaire brut, exonéré de cotisations salariales et patronales de Sécurité Sociale

84% du salaire horaire brut, exonéré de cotisations salariales et patronales de Sécurité Sociale. Plancher égal au SMIC net (8.03 euros/h)

70% du salaire brut, 84% du salaire net. Plancher égal au SMIC net (8.03 euros/h)

Part payée par l’État et la sécu sur l’indemnité

Forfaitaire : 7.74 euros/heure de réduction et 7.23 E/h si entreprise de plus de 250 salariés

60% du salaire horaire brut jusqu’à 4.5 SMIC (jusqu’à 31.97 euros /heure)

85% de l’indemnité si accord avant le 1er octobre 2020, 80% si accord après

Reste à charge pour le patron par rapport au salaire brut avant chômage partiel

70% du salaire horaire brut moins indemnité forfaitaire

24% du salaire horaire brut

10.5% du salaire brut si accord avant le 1er octobre 2020, 14% si accord après[1]

Durée

6 mois renouvelables une fois

3 mois renouvelables une fois

6 mois renouvelable jusqu’à 24 mois

Engagements de l’employeur concernant le maintien des emplois

?

Fixé par la DIRECCTE, maintien dans l’emploi pouvant atteindre le double de la période de chômage partiel

Sans conditions de maintien des emplois sauf accord collectif

Les avantages du nouveau dispositif sont nombreux. D’abord en termes de reste à charge pour le patron on voit une nette évolution en faveur du capital : d’une indemnité de l’État forfaitaire à une indemnité en fonction soit du salaire brut, soit de l’indemnité à verser au salarié. Avec un calcul rapide, on se rend compte que le nouveau dispositif de chômage partiel de courte durée est plus rentable pour les capitalistes pour des salaires à partir de 2145 euros/mois brut en temps complet, soit 1673 euros de salaire net[2] ! Le salaire net médian étant en France de 1789 euros /mois[3], cette nouvelle méthode de calcul rend plus avantageux le chômage partiel pour la majorité de salaires. Quant au ARME, les patrons n’auront à payer que 10% des salaires bruts pour des accords passés avant octobre 2020, puis 14% ! Sachant que l’ARME peut toucher jusqu’à 40% des heures de travail, le capitaliste peut donc moduler pendant une durée de 2 ans jusqu’à 36% de ses dépenses en force de travail, et ceci sans compromis de maintien d’emploi légal ! Le tout payé par l’État et la Sécurité Sociale. C’est simplement aberrant tellement ça relève du parasitisme et de l’assistanat de la part des patrons.

En termes de durée on voit l’ancien dispositif scindé en deux : une version « rapide » et une version à long terme. Si le premier relève d’une décision unilatérale du patron, qui dépose un dossier à l’administration qui donne ou pas le feu vert, le deuxième nécessite un accord collectif (d’entreprise, groupe ou branche) pour être mis en œuvre, ou un référendum d’entreprise dans les PME. Mais ne nous leurrons pas : l’administration a déjà fait savoir qu’elle fera une application très souple des dispositifs, autant dire qu’elle acceptera tout dossier arrivé aux bureaux du Ministère du Travail. Du côté de l’ARME les patrons ont des leviers très importants pour faire basculer les accords collectifs comme on verra plus bas. Les énormes avantages de l’ARME sur le dispositif « à court terme » révèlent donc une tendance vers la « punition » des capitalistes qui n’auraient pas fait recours à la « consultation », celle-ci étant un moyen de légitimer leurs mesures draconiennes.

L’acronyme « ARME » illustre le cynisme avec lequel le patronat envisage ce dispositif et la phase d’offensive sur tous les fronts qu’il lance contre la classe ouvrière. Il acte la pérennité du chômage partiel et le renversement de la logique de la sécurité sociale, qui passe sur cet aspect-ci d’être une assurance ouvrière à une assurance patronale avec la refonte du chômage partiel. Il ne protégera plus les travailleurs des aléas de l’économie capitaliste, mais les patrons. Ceux-ci auront l’initiative de suspendre jusqu’à 40 % des heures de travail contractuelles au moyen d’accords collectifs souscrits sous le chantage patronal. Des accords à l’image du fameux référendum de 2016 à l’usine Smart à Hambach (Moselle) où les salariés ont été obligés de choisir entre la délocalisation de leur usine et une hausse des heures de travail sans contrepartie salariale. Ce chantage doublé du collaborationnisme patronal des syndicats jaunes, dits « co-gestionnaires », et de la permissivité que le Ministère du Travail a déjà annoncée sur le sujet pour les années à venir, promet un avenir radieux pour ce dispositif hyper-avantageux pour le patronat.

Le mouvement général de ce dispositif tend à protéger le capital en assouplissant énormément sa gestion de la force de travail en temps de crise comme celle que nous vivrons les années à venir. Et le comble est que la nouvelle procédure qui marque le déplacement de l’objet de la sécurité sociale du travail vers le capital est complémentée d’une tendance écrasante ces dernières années à l’élimination des cotisations sociales et notamment des cotisations patronales surtout après la conversion du CICE début 2019. Ce sera à l’État de prendre en charge le financement de la sécurité sociale en s’endettant de plus en plus. L’« ordolibéralisme » de l’Union Européenne (d’origine allemande mais que le capital monopoliste français assume et souscrit) fera le reste en forme d’austérité budgétaire sur la base de la « règle d’or », de privatisation de services publics, de fermeture de bureaux et hôpitaux. De quoi remercier d’ici quelques mois les  « 1ère et 2e lignes », travailleurs et travailleuses dont le risque vital assumé pendant la pandémie est reconnu par des primes ridicules et des médailles inutiles. De quoi « punir » également le capital monopoliste parasite, qui met en danger nos vies tout en nous suçant jusqu’à la moelle des os pour se faire des profits.

La réalité décrite ici en finit avec le mythe du grand patronat sur l’assistanat. Le grand assisté dans la phase impérialiste du capitalisme est le capital, et en premier lieu le capital monopoliste, qui ne survit que grâce à des étayages de plus en plus alambiqués, tel un cadavre dont le cœur bat encore seulement à l’aide d’électrochocs permanents et dont les jambes tiennent droites seulement au moyen de précaires échafauds. M. Roux de Bézieux et cie feraient mieux de la fermer à propos des misérables indemnités chômage et minimas sociaux qu’ils veulent bien nous verser pour nous maintenir en vie mais affamés, prêts à accepter n’importe quelles conditions de travail. Les assistés, les parasites, les maintenus sont eux. Seul le peuple travailleur promet un avenir radieux.

HISTORIQUE DES VARIATIONS DU DISPOSITIF DE CHÔMAGE PARTIEL EN 2020 :

    • Avant la crise économique-sanitaire, le dispositif devait être validé par l’administration pour 6 mois. L’employeur devait payer une indemnité horaire correspondant à 70% du salaire horaire brut. L’indemnité pour l’employeur, payée par l’État et la sécu conjointement, était forfaitaire de 7.74 euros/heure de travail éliminée (75% du SMIC brut).
    • Pendant le confinement, l’indemnité passe de 70% à 84% du salaire horaire brut pour le salarié. Mais un grand pas en avant était fait : l’État rembourserait non plus sur forfait, mais 100% du montant de l’indemnité jusqu’à 4.5 fois le SMIC (vous connaissez beaucoup de travailleurs qui touchent 6927 euros bruts par mois ?). S’effectuait également un élargissement du champ du chômage partiel vers de travailleurs et travailleuses à temps partiel, saisonniers, apprentis, etc. Pendant le confinement, la sécu a ainsi payé un total de 16.5 milliards d’euros au capital pour 7.2 millions de travailleurs et travailleurs au chômage partiel.
    • Le 17 juin 2020 le gouvernement acte la stabilisation du dispositif. A compter du 1er juin le chômage partiel sera remboursé non pas à 100% mais à 85%. Des secteurs très touchés comme l’hôtellerie, le transport aérien, le tourisme continueront à être remboursés à 100%. Et à compter du 1er octobre, la logique change : le salarié sera toujours indemnisé à 84% de son salaire brut, mais le patron recevra une indemnité de 72% référencée non plus sur l’indemnité elle-même mais sur le salaire net, soit 60% du salaire brut ! Le reste à charge pour le patron sera seulement de 24% du salaire brut. Un avantage conséquent pour le capital par rapport à l’indemnité forfaitaire d’avant-crise de moins de 8 euros /heure. Ce dispositif sera valable 3 mois renouvelables une fois.
    • En parallèle, un nouveau dispositif est mis en place dès le 1er juillet : « l’activité réduite de maintien dans l’emploi » (ARME). Soumis à un accord d’entreprise (ou de branche, au choix des capitalistes), il permet de réduire jusqu’à 40% (!) le temps de travail des entreprises. Les salariés concernés toucheront 84% de leur salaire net soit 70% de leur salaire brut, différemment au dispositif précédent qui indemnisait à hauteur de 84% du salaire brut. Le patron sera indemnisé à son tour à hauteur de 85% de l’indemnité – restera donc à sa charge que 15% de l’indemnité, soit 10.5% du salaire net. A partir du 1er octobre le patron sera indemnisé à 80% de l’indemnité soit 14% du salaire net. En somme, un vrai jackpot.

[1] Reste à charge pour l’employeur calculé sur le montant de l’indemnité chômage partiel moins la subvention de la Sécurité Sociale et l’administration pour chacun des dispositifs.

[2] Ce montant marque le point où 24% du salaire brut (reste à charge pour le patron dans le nouveau système « à court terme ») est inférieur à 70% du salaire brut moins une moyenne de 7.5 euros de l’indemnité forfaitaire prévue dans l’ancien dispositif.

[3] Données de 2016