Foulard et intoxication patronale : refusons de servir les intérêts du capital

Récemment, à l’occasion de l’intervention d’une militante syndicale voilée à l’Assemblée nationale, et sans que la foi musulmane n’ait quoi que ce soit à voir avec son propos, la dramatique autant qu’habituelle propagande d’État raciste s’est déchaînée.

De l’ignominie affichée jusqu’au petit commentaire subtilement xénophobe l’air de ne pas y toucher, toutes les nuances de la réaction ont pu une fois encore s’exprimer sans fard ni contraintes.

Et dans ce vacarme, Philippe Martinez, participant à une émission de télévision, a été invité à se prononcer. Plutôt que d’agir en responsable syndical conséquent, et refuser de donner du grain à moudre à une polémique raciste au bénéfice du patronat, le secrétaire de la CGT a préféré broder un tissu d’âneries sur la « laïcité » comme le premier Manuel Valls venu.

A cette occasion, il nous paraît important d’opposer un certain nombre d’arguments en faveur de l’unité du peuple-travailleur, contre des propos que l’on retrouve hélas parfois dans nos rangs légitimant l’exclusion des femmes portant le foulard, sous couvert d’une phrase de gauche.

« Je tiens à la laïcité. »

Tel que l’UJC a déjà pu le formuler, la laïcité a depuis longtemps perdu tout lien avec les luttes émancipatrices qui ont vu sa sanctuarisation en 1905, luttes républicaines contre la réaction aristocratique cléricale qui au début du XXème siècle encore n’avait pas désarmé. Il y a longtemps déjà que « la laïcité » est devenue le fard pudique des violences racistes qui s’abattent sur les travailleurs et travailleuses musulmans. Celle-ci n’a plus aucun rapport avec la lutte démocratique contre les institutions politiques réactionnaires maintenues par la superstition et le folklore. Il ne s’agit plus que d’une arme anti-ouvrière ciblant le corps des travailleurs ayant foi en l’Islam et servant à les couper du reste du peuple-travailleur. Que l’on pense à la dernière fois que « la laïcité » a été invoquée pour dénoncer le concordat encore en vigueur en Alsace-Moselle et dans la colonie de Guyane. Le seul rôle politique actuel de la laïcité bourgeoise est bien de dessiner une cible dans le dos des travailleurs musulmans, et s’assurer que les travailleurs à ne pas l’être ne s’allient en aucune manière avec eux contre les monopoles.

Admettons cependant un attachement sincère au principe originel de laïcité, une volonté bienvenue de lutter contre le mysticisme et le cléricalisme. En aucune manière cela ne suppose un rejet de nos camarades musulmanes et musulmans. Du combat contre les secteurs les plus obscurantistes de la société (religieux ou non) ne s’ensuit pas un combat contre les croyants ou contre les croyances en soi. Il suffit de penser aux luttes justes contre le capitalisme monopoliste qu’ont menées des mouvements ouvertement confessionnels aux quatre coins du monde, à l’instar de certaines composantes de la théologie de la libération ou du socialisme arabe. Si elles sont critiquables, ces luttes le sont non pas par leur confessionnalisme mais en tout cas par leurs orientations politiques dans la pratique. La lutte contre les monopoles suppose de prendre les travailleurs tels qu’ils sont, avec leurs pratiques, traditions, expériences, mais aussi leurs limites, notamment les scories superstitieuses et réactionnaires. La nécessaire unité d’action politique de la classe ouvrière dans un vaste mouvement révolutionnaire qui reste à construire ne peut pas être mise en suspens par l’espoir d’une vie après la mort, la croyance en un être supérieure ou le port d’un symbole religieux quelconque. Le mouvement révolutionnaire auquel on doit tendre n’est pas un club dont l’admission dépend de tel ou tel critère de sélection, mais l’organisation politique des masses laborieuses telles qu’elles sont, comme dit plus haut. Ce qui se conçoit sans peine pour tout autre camarade croyant mais plus dans le cas des musulmanes ne laisse qu’un seul verdict possible quant à la racine de ce double-standard : l’intoxication raciste du patronat, qui fabrique de toutes pièces l’opposition entre la laïcité et l’islam et s’en sert comme arme dans sa lutte contre le peuple-travailleur.

« Je suis contre toutes les religions. »

Il est vrai qu’il existe une grande et héroïque tradition dans le mouvement ouvrier consistant à extirper la superstition et l’obscurantisme des mentalités et à se battre contre les Églises, historiquement fourriers de réaction.

Mais il convient de rappeler quelques éléments à ce propos. Pour commencer, il s’est toujours agi de lutter contre les institutions religieuses et leurs cadres et clercs, ceux investis d’une autorité spécifique sur le corps des fidèles. Ainsi, pour l’exemple, lors de la dite « Guerre Civile Russe », l’action anticléricale des révolutionnaires a ciblé popes et bâtiments, mais en aucun cas les croyants, au demeurant tellement implantés qu’il y en avait un nombre non négligeable parmi lesdits révolutionnaires.

Pour paraphraser le paragraphe précédent, depuis quand est-il nécessaire de s’attaquer à l’objet particulier d’une structure sociale pour attaquer la structure elle-même ?

Doit-on,sous prétexte de lutter contre le capital, refuser nos rangs aux travailleurs ?

Lutter contre une institution religieuse ce n’est pas exclure ses fidèles par principe.

De plus, parler « des religions » comme un tout homogène est une pure abstraction de gauchiste étudiant en mal de rébellion. Toutes n’ont pas la même puissance, et donc nocivité, en France comme partout ailleurs. Si lutte antireligieuse il devait y avoir dans notre pays, il convient d’identifier celle qui est la plus déterminante politiquement, qui est le plus en lien avec les cercles décisionnaires. Seul le catholicisme, fortement implanté dans la bourgeoisie et considéré comme interlocuteur religieux privilégié par l’État mériterait d’être la cible des foudres émancipatrices à l’heure actuelle. Le président de la République Française est de facto chanoine de Latran, et non mufti de Jérusalem ou d’ailleurs. L’Islam quant à lui est en France une religion minoritaire, pratiquée essentiellement par des travailleurs et travailleuses ségrégés et déshumanisés. Elle est une religion de population dominée sans capacité de peser politiquement sur la machine d’État et d’imposer ses vues.

Si le mouvement ouvrier a toujours combattu la domination religieuse, il l’a fait en tant qu’elle était une forme de domination de classe plus qu’un phénomène religieux. Ainsi il a toujours protégé les fidèles de religions opprimées, comme les communistes se sont toujours élevés contre la persécution religieuse et raciale des juifs. A l’heure actuelle, refuser de faire ce travail de solidarité avec nos camarades musulmanes et musulmans, et vouloir coûte que coûte « lutter contre toutes les religions », c’est incarner l’aile gauche de la fuite en avant fascisante en France. C’est vouloir débattre en 1914 sur l’adéquation du christianisme arménien avec les mœurs turques.

« Dans leurs pays… »

Ce regrettable incipit, hélas fort classique, relève de la plus crasse pollution politique patronale, tendant à renvoyer les musulmanes et musulmans à un invariable Orient allogène.

Nous devons rappeler que les classes n’ont pas de patrie, et qu’adoptant nécessairement des formes de lutte nationales, on ne peut pour autant enfermer le combat révolutionnaire dans ces limites, et par corollaire on ne peut enfermer tout ou partie du peuple dans une essence nationale intrinsèque et indépassable.

Il est ici question de nos camarades musulmanes en France, qui sont partie intégrante de son peuple-travailleur, participent pleinement à la concentration des masses laborieuses -tombeau du capitalisme-, sont exploitées par sa bourgeoisie et prises pour cibles par son État. Ce pays est de ce fait le leur, citoyennes ou non, comme celui de tout autre travailleur. Elles sont liées par leur condition et leurs intérêts à la communauté de lutte contre le capital monopoliste en France.

« C’est un symbole d’oppression des femmes. »

Ceci est rigoureusement exact. Ce qu’il ne faut pas perdre de vue cependant est qu’il s’agit d’une pratique minoritaire, rapportée à d’autres tout aussi voire plus réifiantes pour les femmes en France. Pensons par exemple, et cette liste est loin d’être exhaustive, au maquillage, à la mini-jupe, au bikini, aux talons aiguilles (causant, pour ces derniers et à l’inverse du foulard, d’avérés dommages à la santé des femmes en détériorant leur colonne vertébrale), dont le but est d’enfermer le corps des femmes dans une désirabilité pour les hommes. Certes l’optique est différente de celle consistant à ravir le corps aux regards, mais la question se pose de savoir si les y contraindre est préférable. Mais c’est là un autre débat.

Il convient plutôt de pointer du doigt l’absence de ces atours dans le débat médiatique autour de la question des symboles de l’oppression féminine, toujours rapportée aux pratiques d’une population minoritaire et bouc- émissaire. Mais encore le scandaleux artifice idéologique dans l’analyse bourgeoise du voile qui permet de juger les croyances, le degré de « soumission », l’autonomie d’une femme musulmane, voire une légion de préjugés de classe, à la seule vue de sa tenue. La perversion de l’idéologie bourgeoise nous oblige à faire remarquer ce qui sous d’autres conditions serait évident : un voile ne préjuge en rien sur les conditions d’existence, les opinions ou les attributs personnels de la femme qui le porte. Misogynie et haine de classe se fondent dans la laïcité bourgeoise et son obsession autour du voile.

Que l’on ne se méprenne nullement : parler de libération des femmes en n’évoquant que le seul foulard comme motif de rejet pour celles qui le portent, c’est faire reculer le combat émancipateur, en chassant des femmes du combat et de l’unité d’action. Et ce d’autant plus lorsque c’est au prétexte d’une pratique bien plus limitée que la bourgeoisie veut nous faire croire et bien moins dommageable aux femmes que tant d’autres, que ce bout de tissu vient pudiquement autant qu’opportunément recouvrir.

« Il y a des pays où les femmes luttent pour se dévoiler. »

Cela également est exact. Mais, d’une part, d’où vient cette idée qu’il faille toujours comparer les femmes musulmanes en France à celles d’autres pays, existerait-il une permanence de l’essence féminino-musulmane à travers le temps et l’espace ? Demande-t-on des comptes aux femmes catholiques pour les régressions à n’en plus finir de la condition féminine en Pologne? Signe des temps de crise du capital que d’enfermer un bouc-émissaire dans un éternel allogène.

D’autre part, et c’est là le plus important, chaque situation concrète connaissant la poussée de ses propres contradictions, toutes situations ne sont pas sujets aux mêmes nécessités et luttes démocratiques. Ainsi en effet en Iran, supposons, c’est une tâche démocratique d’importance -parmi tant d’autres- que les femmes imposent leur liberté de retirer le foulard comme axe particulier de combat contre la théocratie anti-ouvrière en place, pavant la voie pour la révolution socialiste.

Or il n’aura échappé à personne que la France n’est pas une théocratie musulmane. C’est une puissance impérialiste occidentale reposant notamment sur l’exploitation des peuples arabo-musulmans au Maghreb et au Moyen-Orient. De ce fait les monopoles français ont une nécessité, vis à vis de leur implantation internationale, à légitimer cette domination par la naturalisation de l’infériorité des peuples opprimés (mœurs barbares, peuplades incapables, terra nullius etc), et à leur niveau national à couper de leur population autochtone les populations issues de cet empire capitaliste, par les mêmes biais. Une des tâches démocratiques du mouvement populaire en France est donc d’empêcher cette amputation et de lutter contre la déshumanisation de nos camarades renvoyés à cette inaltérable extranéité. Cela passe par la revendication au droit effectif, et pas uniquement légal par ailleurs jamais respecté, de porter le foulard pour les femmes qui le souhaitent, sans risquer cette mort sociale aujourd’hui à l’œuvre.

Refuser cela et accepter le discours sur les peuples opprimés porté par le capital monopoliste français, c’est accepter la domination du deuxième sur les premiers, et c’est affaiblir nos forces en France.

En conclusion de tout ceci, rien ne saurait remplacer ce vieux slogan ouvrier, tous ensemble et en même temps ! Contre la division patronale, contre la xénophobie et le racisme opprimant nos camarades et fracturant notre élan révolutionnaire.

Ce n’est pas au peuple-travailleur ni à ses organisations de relayer la propagande d’État et le racisme dont le seul bénéficiaire a toujours été et sera toujours le capital monopoliste.

Organisons les travailleurs et travailleuses, avec ou sans foulard, pour la révolution et le socialisme.

Manolo