Les révolutions socialistes ayant continué partout dans le monde le travail politique déclenché par la victoire des Bolcheviks en Russie, elles ont très vite compris le problème essentiel que pose la culture et l’art sous le capitalisme : ceux-ci fonctionnent comme partie de l’appareil d’État et le parti communiste réorganisant tout l’appareil doit donc s’occuper de cette partie également. Nous ne rentrerons pas en détail dans l’immense travail théorique et pratique sur le rapport entre l’art et le marxisme, mené aussi bien par des artistes que des militants, mais nous nous concentrerons sur ce que signifie le mouvement massif d’occupation des théâtres nationaux partout en France actuellement1 : la culture est elle aussi un lieu de lutte des classes et cette partie de l’appareil est en contradiction interne.
Nous pouvons résumer simplement le cœur d’une pratique bourgeoise de l’art et donc ce qui constitue sa contradiction : le dépolitiser complètement. Mais comment peut-on le dépolitiser lorsque matériellement toutes productions artistiques dépendent de l’État, par financements et subventions ?
Il est à noter que ce rapport matériel et idéologique de la classe dominante à l’art, par une dépolitisation acharnée et constante, n’est pas toujours arrivé dans l’histoire suivant les modes de production2. Mais comment se traduit cette contradiction particulière au capitalisme ? Par exemple, les nombreux mouvements et organisations militantes de dénonciation et de combat contre le harcèlement, le chantage sexuel et le viol, présents de manière systémique dans le milieu artistique sera combattu par la bourgeoisie et la réaction comme étant des comportements isolés que le talent pourrait excuser en « séparant l’œuvre de l’artiste », ou des erreurs de poètes torturés bafouant les valeurs morales3. Ou bien d’une autre manière, on verra des spectacles « citoyens », sur le « vivre-ensemble », racontant l’unité de la population Française sur des valeurs et émotions déconnectés de tous contextes sociaux.
La politique de l’État bourgeois français, de contrôler financièrement la vie culturelle et particulièrement théâtrale dans le pays, enclenchée depuis les années soixante, sous couvert de « décentralisation » et de « démocratisation » de la culture4, montre son vrai visage : la culture est financée et aidée lorsqu’elle est inoffensive, en contexte de crise elle devient inutile, voire dangereuse si elle prend conscience de son rapport de dépendance à la classe dominante.
Le fait que ces occupations de théâtres, menés souvent comme par exemple à l’Odéon avec des syndicats de travailleurs comme la CGT, ouvert à tous pour des assemblées générales et des lectures publiques de textes de théâtre ou de poésie est un bon signe : quelque soit notre position sociale, nous pouvons nous rendre compte en cas de contradiction violente que la lutte des classes est partout, qu’il n’y a pas de monde immatériel où elle ne produit pas d’effets et que repenser « l’art prolétarien », qui était le cœur du travail d’un artiste comme Gorki ou Maïakovski au début du siècle dernier, est non seulement possible mais nécessaire.
Bross
1Pour un point factuel sur la situation des occupations et leurs nombres : https://www.franceinter.fr/culture/le-mouvement-pour-rouvrir-la-culture-s-etend-voici-la-carte-des-theatres-occupes-en-france.
2Voir par exemple le mode de production esclavagiste, comme la Grèce antique, où le théâtre joue un rôle politique assumé dans la vie de la cité.
3L’affaire Polanski en est un exemple symptomatique.
4Pour le rôle d’État du « théâtre citoyen », de son rapport avec les politiques de « Démocratisations», et de la nécessité de travailler un théâtre réellement politique, voir l’analyse d’Olivier Neveux dans : Contre le théâtre politique aux éditions La Fabrique.