La “collectivisation forcée” en URSS : ses mythes, ses réalités et ses leçons

Un argument souvent utilisé pour discréditer le socialisme en URSS est celui de la “collectivisation forcée” : selon cet argument, la collectivisation des terres, des fermes et de l’agriculture en URSS aurait été effectuée par la force, fusils pointés vers les paysans. Cependant, les faits historiques nous montrent que cette idée selon laquelle la collectivisation en URSS aurait été forcée et instaurée par des mesures répressives a pour origine aussi bien des mythes que des faits bien établis.

 

La collectivisation en URSS : les mythes

Commençons d’abord par étudier en quoi l’idée de la collectivisation forcée en URSS est en partie un mythe.

En cela, les écrits de Staline, alors Secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique (PCUS), sont très parlants :

“Le succès de notre politique sur la collectivisation des fermes est dû, entre autres, au fait que cette politique repose sur le caractère volontaire du mouvement de la collectivisation des fermes […]. Les fermes collectives ne peuvent pas être instaurées par la force. Cela serait stupide et réactionnaire.”1

Ce court extrait d’un discours de Staline suffit clairement à montrer que la politique de la collectivisation de l’agriculture en URSS était fondée, non pas sur la répression et la coercition, mais sur la base du volontariat par la paysannerie ; il montre également qu’une telle politique, si elle était fondée sur la répression et la coercition, serait considérée comme étant “stupide et réactionnaire”.

Loin d’être une exception, cet extrait sur le caractère volontaire de la collectivisation des fermes et l’opposition à son instauration par la force n’en est qu’un parmi tant d’autres. À titre d’exemple, un autre extrait tiré d’un article de Staline peut être cité :

Le Léninisme nous apprend que les paysans doivent adopter volontairement la cultivation collective des terres, en les convainquant de l’avantage de la cultivation commune et collective des terres sur la cultivation individuelle. Le Léninisme nous apprend que les paysans doivent être convaincus de l’avantage de la cultivation collective seulement s’il leur est démontré et prouvé, par l’expérience, que la ferme collective est plus avantageuse que la ferme individuelle […]. Le Léninisme nous apprend que toute tentative d’imposer la cultivation collective par la force, toute tentative d’instaurer des fermes collectives par la coercition, ne peut produire que des résultats négatifs, ne peut qu’éloigner les paysants du mouvement de la collectivisation des terres.”2

Cet extrait, plus long que le précédent mais encore plus explicite encore plus explicite, est une preuve de plus que la politique de collectivisation du PCUS était fondée sur la base du volontariat, de l’exemple et de l’expérience, et que toute mesure coercitive n’était pas envisagée, puisqu’il était considéré qu’elle ne ferait que nuire à l’instauration et au développement de la collectivisation.

Cependant, et malheureusement, l’idée de collectivisation forcée en URSS n’est pas entièrement un mythe : elle a aussi une part de réalité.

 

La collectivisation en URSS : les faits et la réalité

Le principe Léniniste selon lequel la formation des fermes collectives doit être volontaire a été violé. Les instructions de base du Parti et les Règles Modèles des artels agriculturaux qui prévoient que la formation des fermes collectives doit être volontaire ont été violées.”3

Malgré la politique et les règles du PCUS qui ordonnaient clairement que la collectivisation de l’agriculture se fasse sur la base du volontariat de la part des paysans, de l’exemple et de l’expérience, certains responsables soviétiques ont pourtant bel et bien usé de la force afin de collectiviser les terres et l’agriculture, usant de la répression et de la coercition et, par conséquent, violant les règles et directives du PCUS. Évidemment, ces renégats, “intoxiqués par le succès”4 que connaissait alors la collectivisation de l’agriculture, n’ont fait que la retarder, la freiner, et aliéner les masses paysannes du PCUS et de la collectivisation : “[à cause de l’usage de la force,] une section de la paysannerie qui, hier seulement, avait la plus grande confiance envers les fermes collectives, a commencé à s’en éloigner.”5

Qu’est-ce que cela nous dit sur la “collectivisation forcée” en URSS ? Cela nous indique que, bien que le PCUS avait bel et bien une politique clairement hostile à toute collectivisation forcée, à tout usage de la force pour instaurer et développer la collectivisation, certains responsables soviétiques en ont pourtant usé, n’engendrant que des conséquences négatives. Cependant, ceux-ci restaient des exceptions : la politique de collectivisation fondée sur le volontariat, l’exemple et l’expérience, menée par le PCUS, devait être respectée par les responsables soviétiques sous peine de sanctions.

Tout cela peut être très intéressant si l’on s’intéresse à l’histoire de l’URSS et du socialisme. Mais concrètement, peut-on en tirer des leçons pour aujourd’hui et demain ?

 

La collectivisation en URSS : les leçons d’hier pour demain

Au-delà d’être un point d’histoire, le cas de la “collectivisation forcée” en URSS peut nous apprendre beaucoup de choses sur le présent et pour le futur.

Pour commencer, elle nous apprend que ce sont les vainqueurs qui racontent l’histoire.

Le camp capitaliste, sorti vainqueur du XXe siècle, raconte sa propre histoire du monde. Pour discréditer l’URSS et l’expérience soviétique, ce camp capitaliste vient souvent nous narrer “les horreurs de la collectivisation en URSS”, de la vie des paysans soviétiques qui auraient été soumis par les fusils, etc. Pourtant, le PCUS ne considérait pas que c’étaient les paysans qui devaient être soumis par les fusils, mais ceux-là mêmes qui soumettaient les paysans par les fusils. Ces quelques responsables soviétiques qui croyaient pouvoir forcer la collectivisation par la répression et la coercition étaient considérés comme des renégats, des réactionnaires et des ennemis du peuple par le PCUS, et étaient justement sanctionnés. Mais ces quelques exceptions qui allaient à l’encontre de la politique du PCUS ont été transformées par le camp capitaliste en les exemples mêmes de la politique du PCUS. Une véritable preuve factuelle de la distortion de l’histoire effectuée par les capitalistes à leur avantage.

La politique de collectivisation en URSS nous apprend également que seuls les ennemis des travailleurs doivent faire l’objet d’une répression. C’est le fondement même de l’État socialiste : un État où les rapports de domination entre classes sociales sont renversés, où les travailleurs, et en particulier les prolétaires, utilisent la répression contre les bourgeois et exploiteurs. L’État socialiste ne peut pas et ne doit pas utiliser la répression envers les travailleurs eux-mêmes et leurs alliés, dont les paysans petits et intermédiaires font partie, sans que cette utilisation ne soit, comme l’a justement dit Staline lui-même, “stupide et réactionnaire”. Cela, le PCUS l’avait très bien compris.

Enfin, la politique de collectivisation en URSS nous apprend plus globalement que les révolutionnaires socialistes doivent faire usage de l’exemple et de l’expérience. La politique de collectivisation par le PCUS, fondée sur l’exemple et l’expérience, peut en effet être appliquée de manière bien plus générale. Ainsi, les révolutionnaires socialistes, les socialistes scientifiques, se doivent d’être des exemples dans la lutte contre le capitalisme et pour le socialisme, des exemples dans le maniement de la théorie et dans l’application pratique du socialisme scientifique, et doivent faire triompher leurs idées non pas en les imposant de manière unilatérale et autoritaire, mais en prouvant leur cohérence et leur justesse par l’expérience elle-même.

Ainsi, une fois creusé, un simple fait historique peut nous apprendre bien plus que son apparence pouvait le laisser croire.

Rox


1 Joseph Stalin, “Dizzy With Success (problems of the collective-farm movement)” in Problems of Leninism, Foreign Languages Publishing House, 1947, p. 327. Cet extrait et tous les suivants ont été traduits de l’anglais par l’autrice.

2 Joseph Stalin, “Reply to Collective Farm Comrades” in Problems of Leninism, Foreign Languages Publishing House, 1947, pp. 333-334.

3 Ibid, p. 333.

4 Ibid, p. 334.

5 Ibid.