Les monopoles français contre la volonté d’un peuple : sur la décision d’Emmanuel Macron de soutenir le plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental

Ce 30 juillet 2024, le président Emmanuel Macron annonçait un coup de tonnerre diplomatique : la reconnaissance en une lettre officielle que le plan d’autonomie marocain concernant les territoires occupés du Sahara occidental était « la seule base pour aboutir à une solution politique juste et durable ». Une décision ayant provoqué le retrait immédiat de l’ambassadeur de l’Algérie en France, la bourgeoisie algérienne défendant l’autonomie des territoires sans le plan de l’État marocain.

Une décision diplomatique applaudie du Rassemblement national jusqu’aux Républicains, faisant suite à celles des bourgeoisies espagnole et israélienne soutenant elles aussi le plan d’autonomie marocain.

Pourquoi une telle décision ? Pourquoi la question du Sahara occidental a-t-elle provoqué un tel incident diplomatique, mais surtout, que représente le Sahara occidental pour la bourgeoisie française ?

À la suite de l’indépendance du Maroc et de l’Algérie et la fin de la colonisation hispano-française en 1975, des tensions régionales éclatent suite au développement de différentes consciences nationales et de demandes à l’autodétermination. À la fin d’un conflit armé mêlant des forces sociales et politiques hétérogènes comme l’armée de libération nationale marocaine, des irréguliers marocains, des groupes sahraouis, mais aussi l’Algérie, les nouveaux États marocain et algérien voient le statut du Sahara occidental devenir un contentieux territorial à départager. Un contentieux également économique dans une période intense de révolution démocratique bourgeoise, comme nous le verrons plus loin.

Le 27 février 1976 est proclamée la « République arabe sahraouie démocratique » par le Front Polisario, organisation politique et militaire pour l’autodétermination du peuple sahraoui. Le Polisario s’était formé initialement dans la lutte contre la colonisation de l’État espagnol mais a dû rapidement se défendre face à l’État marocain désirant annexer le territoire. Suite à un conflit violent allant s’enliser sur des décennies, un cessez-le-feu est officiellement déclaré en 1991. Un plan d’autonomie prévoyant un référendum est ensuite établi sous l’égide de l’ONU en 2000, mais il ne fut jamais mis en œuvre.

C’est donc dans une situation de lutte de classe où un peuple demande son autodétermination face à des États bourgeois aujourd’hui intégrés dans le système impérialiste mondial que se pose depuis un point de vue communiste la question du Sahara occidental : les États marocain, algérien, français, ou encore espagnol cherchent à jouer leurs cartes dans la lutte d’indépendance nationale du peuple sahraoui.

Le plan d’autonomie du Maroc proposé depuis 2007, avalisé par la récente décision d’Emmanuel Macron, ne propose qu’une autonomie purement politique mais en aucun cas sociale ni économique : il prévoit entre autres que la monnaie resterait celle de l’État marocain, que le dirigeant du parlement sahraoui serait préalablement investi par le roi marocain, et que l’État marocain serait le garant des prérogatives de défense et de sécurité. Ce plan permettrait ainsi un contrôle de fait de l’État marocain sur tout le territoire sahraoui tout en gardant une apparence de démocratie en paroles.

Loin d’un simple « coup de tête », ou d’une « méconnaissance des enjeux », la décision politique d’Emmanuel Macron reflète les décisions des monopoles français dans une conjoncture économique se modifiant sous l’effet de la crise contemporaine de l’impérialisme mondial.

Le Sahara occidental est tout d’abord l’une des plus grandes réserves mondiales de phosphate sur l’ensemble du sahel, qui représente plus de la moitié des exportations de la région et qui constitue une matière première essentielle de la production alimentaire dont des monopoles français tels que Carrefour ont un besoin crucial. Les monopoles français ont mené par ailleurs depuis un an des alliances plus fortes avec des monopoles marocains plus faibles dans le système impérialiste, une alliance temporaire permettant de grands profits pour la bourgeoisie française : citons le financement massif d’une ligne de transport d’énergie décarbonisée entre Dakhla, ville située sur le territoire sahraoui, et Casablanca, sous l’égide du monopole français Engie, et ce par le biais Proparco, institution financière française ciblant les pays dits en voie de développement, et de Bpifrance, banque publique d’investissement française ; toutes deux ont été autorisées par le gouvernement marocain à investir dans les trois régions qui constituent le Sahara occidental.

Ainsi, loin de tomber du ciel, la décision politique française vient affirmer l’alliance des monopoles et du capital financier français avec ceux marocains tout en gardant l’ascendant par le biais d’investissements financiers.

La bourgeoisie française n’est pas la seule à avoir avancé ses pions : en 2022, l’État espagnol a déjà reconnu le plan d’autonomie marocain tout comme les États israélien ainsi et états-unien. Ce caractère international s’explique là aussi par la base sociale et économique : Proparco étant une filiale financière française pour l’étranger, elle permet des financements conjoints par des États membres de l’Union européenne. L’UE, alliance inter-impérialiste de premier plan pour la bourgeoisie française, reste bien parcourue de contradictions internes à sa base, comme sur le sujet plus connu de la guerre inter-impérialiste en Ukraine. La bourgeoisie française continue de tenter de prendre l’ascendant au sein de l’UE face, entre autres, à la bourgeoisie espagnole, mais aussi allemande par la concurrence sur le capitalisme « vert » dont Engie ou Alstom sont au premier plan.

Ajoutons enfin que cette décision prend place au sein de contradictions inter-impérialistes plus larges : la concurrence sur d’autres zones d’influences historiques du capital français comme le Sénégal ou le Mali face aux monopoles chinois et russes pour d’autres matières premières, comme l’uranium ou encore le bauxite, reconfigure les jeux d’alliances et fait changer de cap les préférences d’orientations de l’oligarchie financière française.

Tandis que le peuple sahraoui ne se voit pas reconnaître de statut indépendant par des États bourgeois comme la France, suite à une guerre éprouvante pour son autodétermination jusqu’en 1990, ce sont bien nos monopoles et leurs capitaux qui sont au premier plan pour étrangler économiquement et aujourd’hui politiquement la volonté sahraouie.

On notera d’ailleurs la réaction contradictoire et discordante du Nouveau Front Populaire (NFP), dont l’un des mots d’ordres phares est pourtant celui de la paix. Ainsi Marine Tondellier, figure de proue d’Europe Écologie les Verts et du NFP, qualifie de « provocation » la décision d’Emmanuel Macron et appelle à la « protection des droits du peuple sahraoui » mais sans jamais évoquer les liens économiques expliquant cette décision, tandis que d’autres s’attardent encore moins sur une phrase de gauche.

En témoigne Karim Ben Cheikh, élu issu du NFP pour la 9ème circonscription des Français de l’étranger déclarant que l’État marocain est « un acteur global et un leader continental qui a des ambitions sur sa façade atlantique et une vision d’avenir, notamment sur les énergies renouvelables. », soutenant que seul le plan d’autonomie marocain pourra régler le conflit. La rhétorique anti-coloniale sociale-démocrate à ses limites, et elles sont celles des intérêts économiques de l’État français.

Pour l’UJC et son Parti, le Parti Communiste Révolutionnaire de France (PCRF), la lutte du peuple sahraoui pour son autodétermination n’est pas une question de pure diplomatie, bonne ou mauvaise, et concerne directement les travailleuses et les travailleurs en France : la construction par Engie d’une usine de dessalement d’eau de mer et d’un parc éolien dans la zone de Dakhla engage les travailleuses et travailleurs d’Engie en France capable de faire pression sur de tels projets criminels. En renforçant et en consolidant nos actions vers des sites d’Engie, mais aussi ceux de la société Sade-CGTH par exemple, impliquée dans le chantier d’un futur port à Dakhla, nous renforçons et consolidons la solidarité internationale dans les faits, la confiance en nos propres forces, afin de mener des actions réelles et ciblées contre le calvaire du peuple sahraoui.

Loin d’une question électorale de décisions de cabinets que promeut une social-démocratie hétéroclite, impuissante ou complice, seule l’organisation de notre classe contre la bourgeoisie française fera croître l’internationalisme et le soutien dans les faits à la lutte politique du peuple sahraoui contre les ingérences françaises, marocaines ou espagnoles.

Contre l’exploitation impérialiste des peuples : autodétermination et socialisme !