Fascisme et fascisation : de la lutte et ses illusions

Article paru dans Intervention Communiste n°183 et dans La Relève juillet-octobre 2024, à retrouver au lien suivant : https://www.unionjc.fr/2025/01/10/la-releve-juillet-octobre-2024/

La semaine dernière, lors de l’investiture du nouveau président des États-Unis, Donald Trump, une scène a fait particulièrement parler : Elon Musk, l’un des bourgeois étatsuniens les plus riches et influents, a offert à l’audience rien de moins que deux saluts nazis en plein direct. Les débats se sont alors enflammés : des nazis sont-ils aux pouvoirs aux États-Unis ou n’est-ce qu’une provocation obscène ne dénotant pas un fascisme politique organisé ? Elon Musk tente-t-il de plaire aux groupuscules néo-nazis étatsuniens ou est-il lui-même nazi ? Enfin, la question revenant sans cesse depuis le résultat des élections étatsuniennes : Donald Trump est-il un fasciste ?

L’histoire du mouvement communiste international est riche en leçons théoriques et pratiques sur la nature du fascisme et les luttes ayant permis de le vaincre lors de la Seconde Guerre mondiale. Dans cet article, nous revenons sur l’une des positions centrales de notre Parti, le PCRF, faisant la distinction entre le fascisme et la fascisation. Il s’agit ici de se trouver les outils théoriques appropriés afin de ne pas nier les modifications politiques dans le choix des monopoles sous le capitalisme vers des partis et programmes de plus en plus réactionnaires, sans pour autant mêler les partis bourgeois certes réactionnaires avec des partis fascistes.

En effet, le fascisme trouve sa source dans un choix d’une nouvelle forme d’État bourgeois lorsque les monopoles mettent en place une dictature terroriste et ouverte afin d’assurer leurs intérêts. Pourtant c’est bien le même État quant à son contenu de fond, la machine de domination de la classe bourgeoise. C’est ici que vient remplir son rôle le concept de fascisation : comprendre et tracer le processus de violation permanente par la bourgeoisie de sa propre légalité, multipliant les mesures d’exception dictatoriales jusqu’à abandonner sa vitrine démocratique parlementaire pour la dictature fasciste ouverte.

Cette analyse, fondée sur le programme de 1928 de la Troisième Internationale, permet de comprendre et de ne pas minimiser la progression de la fascisation de l’État, ni de réduire, comme la social-démocratie, l’antifascisme à une simple phrase électorale.

La lutte antifasciste sera révolutionnaire !
Dans la lutte antifasciste, c’est l’État que nous visons !


« “7 juillet 2024 : la seule alternative au néofascisme est, comme en France et en Espagne en 1936, le Nouveau Front Populaire. Il est encore temps pour éviter le pire. No Pasaran” : ces mots, écrits par Michael Löwy, chercheur soi-disant marxiste du CNRS, représentent un exemple typique d’une illusion idéologique aujourd’hui généralisée.

Il est clair que les scores toujours plus importants du Rassemblement National (RN) et ses alliances toujours plus larges expriment le bellicisme des monopoles français. Cependant, qualifier le RN de parti fasciste, c’est occulter le processus fort qu’est celui de la fascisation. C’est par l’oubli de ce processus que l’on minimise un engrenage global de fascisation opérant au-delà d’un parti d’extrême droite nationaliste et bourgeois. Par fascisation, nous entendons l’exécution, par l’État bourgeois et dans un cadre de démocratie bourgeoise parlementaire, de mesures “d’exception” allant à l’encontre des principes mêmes de ce parlementarisme.

En effet, la fascisation en France ne passe pas seulement par la montée d’un parti comme le RN, mais aussi par un changement dans l’Etat déjà en place. Le processus est clair : le pouvoir se concentre et se resserre de plus en plus, les libertés civiles sont restreintes, l’État français, État des grandes entreprises, expose de plus en plus souvent son statut d’État des monopoles économiques. Enfin, la discrimination et la propagande nationaliste et autoritaire ne sont plus seulement banalisées mais sont systématisées.

Il n’y a pas besoin de chercher longtemps pour trouver des exemples illustrant la fascisation de l’État.

L’article 49-3 ne s’impose-t-il pas en rupture avec le principe même du parlementarisme bourgeois ? L’assassinat de Nahel en juin 2023 n’est-il pas symptomatique d’une répression qui, en plus de faire un bond quantitatif, s’étend au-delà de sa sphère d’action habituelle ? La répression grandissante n’est-elle pas organisée par des lois comme la loi Caseneuve (officiellement loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme) ?

Il n’est pas question, pour nous, de dire que les principes ainsi attaqués constituent une démocratie pure et parfaite, mais au contraire de montrer que la forme de démocratie originellement défendue par la bourgeoisie, et sous la pression des luttes populaires, est tendanciellement remise en cause par cette bourgeoisie elle-même : les mesures d’exception se généralisent et préparent une base embryonnaire concrète pour l’État d’exception permanent et la terreur ouverte, à savoir le fascisme.

Pour le PCRF et pour sa jeunesse, le fascisme n’est pas un simple changement de gouvernement, mais bien une forme possible de la dictature de l’État bourgeois. Ainsi, lorsqu’elles se produisent, les manifestations du fascisme ne sont plus des symptômes d’un processus, mais bien les caractéristiques actées d’une dictature terroriste directe du capital. Cette analyse et la tactique qui en découle ne constituent pas une invention du PCRF, mais puisent leur source dans notre histoire communiste. Elles se forment à partir de textes comme le programme de la IIIème Internationale de 1928, ou encore à travers les débats sur la lutte antifasciste des communistes. L’exemple le plus actuel ayant été produit lors de la dernière conférence de l’Action Communiste Européenne (ACE), qui s’est tenue à Madrid le 11 mai 2024 (lire à ce sujet, dans le numéro 182 d’Intervention communiste, l’encart spécial sur le fascisme, qui en rend compte aux pages 7 à 10).

Le PCRF et sa jeunesse ne se limitent pas à la question du vote dans leur lutte contre la fascisation, mais construisent et proposent des structures de luttes concrètes à la base, dans la rue, dans les quartiers et surtout dans les entreprises. Ces moyens de lutte permettent d’inscrire le combat là où il doit se réaliser, par une vie démocratique au-delà des urnes, faisant vivre une véritable démocratie directe que l’Etat bourgeois et sa classe ne pourraient jamais offrir.

Renforçons le parti de combat, construisons le parti d’avant-garde ! »