La tribune des « 150 personnalités de gauche » ou l’ineptie de la social-démocratie

La crise générale du capitalisme due à la baisse tendancielle du taux de profit, et surtout les périodes de crise de surproduction comme celle qu’on vit à ce moment, poussent les contradictions capitalistes (intra-bourgeoises, inter-impérialistes mais aussi la contradiction capital-travail) vers l’extrême. La fragilité que ces crises imposent aux processus de reproduction du capital fait que le combat des différents secteurs de l’ensemble de la bourgeoisie pour imposer leur propre sortie de crise soit virulent pendant ces périodes. À la gestion de ce combat politique entre secteurs de sa classe sociale s’ajoute pour la bourgeoisie la gestion de la contradiction capital-travail, de la lutte de classes. On aura compris, si le combat entre secteurs de la classe bourgeoise pour imposer leur issue aux crises systémiques se résout dans le politique, ces crises sont des périodes vouées à la recomposition des champs politiques, des combats autour de la gestion de l’appareil d’État mais aussi du rapport entre les États.

Cette présentation était nécessaire pour introduire le sujet qui nous occupe ici : la stratégie et le rôle actuels de ce qu’on appelle « gauche » dans le vocabulaire politique bourgeois. Après la branlée que les partis de la gauche traditionnelle se sont prise lors des élections présidentielles en 2017, leur incapacité de traduire les aspirations du peuple laborieux en action politique (en faveur du Front National !) s’est doublée d’une crise d’organisation pour résoudre la question du « leadership » et de la stratégie de cette gauche déboussolée. C’est ainsi que la campagne dite « d’unité de la gauche », toujours en vigueur mais en évolution comme on va voir, a commencé pour les élections municipales de 2020. À la tête de cette campagne, des partis minoritaires de la gauche comme le PCF, Génération.s et EELV faisaient la cour à la France Insoumise, parti de gauche le moins perdant en 2017, pour préparer ces élections municipales. Sans surprise, le PS en chute libre a dépoussiéré ses drapeaux et son poing en l’air pour adhérer à cette stratégie. Cela débouche sur la lamentable spectacle d’« union de la gauche » que la sociale-démocratie a brandi en mars 2020. Des alliances locales, sans programme, sans cohérence, irrégulières dans le territoire, anarchiques, dont le vide politique ne traduit qu’une disposition totale à la gestion des affaires capitalistes.

La déclaration dite des « 150 personnalités de gauche » publiée le 14 mai dernier sur Libération, Mediapart, Politis, Regards, L’Humanité et L’Obs, est un appel que l’on peut considérer comme une tentative de rationaliser et de remplir le vide programmatique de cette feinte d’unité de la gauche. Au centre, l’alliance EELV-PS à laquelle s’ajoute Génération.s, vise avec cet appel à prendre l’initiative stratégique de la gauche dans la recomposition du champ politique. Le PCF se trouve entre l’enclume de ses « partis frères » de la sociale-démocratie et le marteau d’une indépendance politique formelle qu’un secteur du parti voudrait timidement maintenir. Pour le PCF le paradoxe se résout à la sauce PCF post-22e Congrès : libre à chacun de faire ce qu’il veut. C’est pourquoi Ian Brossat, Cécile Cukierman et Pierre Laurent ont décidé de signer la tribune à titre individuel. Tout ça vous dit quelque chose ? Effectivement, l’appel des «150» semble s’encadrer parfaitement dans la recomposition du champ politique en moments de crise qu’on mentionnait plus haut. Et le contenu de l’appel s’ajuste, lui aussi, au critère fondamental évoqué : le combat pour construire une ligne représentative des intérêts particuliers d’une partie de la bourgeoisie, mais aussi des intérêts de l’ensemble de la bourgeoisie dans sa lutte de classes contre la classe ouvrière et le peuple travailleur. Et c’est à cela que s’attellent les PS-EELV-Génération.s et les fragments signataires du PCF.

Avec l’imposture revendicative qui caractérise la sociale-démocratie dans la préparation de chaque élection – et qui s’écroule avec une précision de métronome dès qu’ils accèdent à la gestion des instances d’État -, la tribune recueillit un ensemble de propositions pour « préparer l’avenir ». Et on ne peut pas dire qu’ils n’ont pas rempli leur rôle de meilleurs partisans du statu-quo de classes capitaliste dans la démocratie bourgeoise. Dès le début ça promet : ils accusent « les politiques dominantes et le capitalisme financier » de nous avoir menés à une impasse et ils proposent d’engager « les transformations sociales et économiques trop longtemps différées » ! Le sens arachnéen des jeunes communistes s’active immédiatement dès qu’on entend ça de la bouche du PS. Et il ne nous trahira pas.

Dans la ligne du gouvernement Macron, ils appellent à la solidarité nationale pour que les « familles vulnérables, comme celles qui viennent brutalement de plonger dans le chômage et la pauvreté […] y compris les jeunes, qui ont vu leur travail et leurs revenus disparaître ». Ils proposent une « prime pour le climat » (?) pour « sortir les plus pauvres de la précarité énergétique ». Le chômage, la pauvreté, la perte d’emplois et de revenus sont pour ces « personnalités de gauche »  des données immuables, les millions de licenciements et non-renouvellements de CDD suite à la crise ne sont pas pas remis en cause, certainement pour assurer la viabilité des entreprises qui après tout, nous dit la bourgeoisie, sont celles qui créent des emplois. Au lieu d’interdire les licenciements, ces politiciens bourgeois optent pour faire peser le poids du confinement sur les travailleurs et travailleuses licenciés, sur la Sécurité Sociale et sur la dette publique, payée par les travailleurs aujourd’hui plus que jamais après les milliards d’euros en cadeaux fiscaux que l’État français donne aux capitalistes depuis des années.

Et justement dans la ligne de la dette publique, cette bien triste avant-garde de la gauche brandit une fois de plus le drapeau déchiré de « l’Europe Sociale » pour demander « des formes inédites de financement en commun pour empêcher une hausse de l’endettement des États ». Bon, ils doivent être ravis d’apprendre que le 18 mai dernier, à peine 4 jours après la publication de leur tribune, Macron et Merkel les doublaient « par la gauche » en proposant que la Commission Européenne s’endette à hauteur de 500 milliards de dollars à transférer aux États et aux régions ! Opacité totale quant aux conditions de remboursement dans l’accord, la seule certitude c’est que tout sera fait au niveau des instances de l’UE pour que ce soient les travailleurs et travailleuses de tous les pays européens qui remboursent, le capital supportant le moindre poids possible.

Les signataires se prononcent aussi sur la politique industrielle du capital. Cette politique a démontré son inefficacité quand pendant la pandémie les chaînes de production et de distribution des produits médicaux basiques se sont rompues instaurant – avec l’inestimable soutien de la spéculation massive de la part des grands groupes de distribution commerciale – une importante pénurie qui a mis en grave danger le personnel médical mais aussi l’ensemble du peuple laborieux (pour approfondir à ce sujet, lire notre article Honeywell, pénurie de masques : le capitalisme responsable). Et bien, nos chers sociaux-démocrates affirment fermement que « il appartient à la puissance publique [ lire « État bourgeois » ] d’identifier avec tous les acteurs les secteurs stratégiques à relocaliser au niveau français ou européen, les chaînes de valeurs à contrôler et les productions à assurer au plus proche des lieux de consommation ». Alors que ce sont les États bourgeois mêmes qui, à travers la création de l’UE, la signature des centaines d’accords de libre commerce et de libre circulation du capital, la guerre là où le capital trouve un obstacle trop récalcitrant, qui a donné au capital monopoliste le cadre lui permettant de mettre en place la politique industrielle actuelle basée sur les investissements étrangers. Ils enfoncent le clou en assurant que « La mise en œuvre de nationalisations là où il le faut doit permettre non de mutualiser les pertes, mais d’atteindre des objectifs d’intérêt général ». Or objectivement, la nationalisation dans les conditions actuelles ne peut être autre chose qu’une mutualisation des pertes ! Cette phrase révèle l’absolue ineptie de la sociale-démocratie quand il s’agit de cacher sa réelle allégeance de classe.

La dispute de la sociale-démocratie contre les autres courants bourgeois reflète les conflits internes de la bourgeoisie sur la gestion de l’État. Mais ces différences entre secteurs de la bourgeoisie ne peuvent pas cacher leur intérêt commun de maximiser l’exploitation de la force de travail de la classe ouvrière et des couches populaires, là où tous les courants politiques bourgeois sans aucune exception sont d’accord. Ils cachent sous une couverture sociale leur renoncement à la lutte contre la précarité, leur dévouement à la cause du capital. Leurs propositions dévoilent leur caractère de classe dès qu’on gratte la surface. Les mesures essentielles promues par la bourgeoisie sont contenues dans le programme de la sociale-démocratie, dont la fonction « sociale » est au mieux un retard de l’application de certaines mesures ou l’ajout de tel ou tel geste pour la galerie.

Il est temps pour le peuple-travailleur et sa jeunesse de se défaire de l’influence funeste des « gentils » marchands d’esclaves de la sociale-démocratie. Les intérêts de la classe ouvrière et ceux de la bourgeoisie sont irréconciliables et aucune politique bourgeoisie ne peut être positive pour nous ! La seule réelle issue politique est d’assurer l’indépendance de classe de nos organisations syndicales et politiques, et de pousser notre formation politique pour identifier les pièges tendus par notre ennemi de classe.

Miguel