
À l’approche du 8 mars, nombre de représentants d’États impérialistes vont sortir leur mouchoirs, prétendant être choqués et concernés par l’ensemble des violences que subissent les femmes à travers le monde. Dans le même temps, ce seront leurs interventions militaires et financières au sein des territoires subissant des guerres et conflits impérialistes qui seront argumentées et justifiées, sous le prétexte de se mobiliser tels des gendarmes contre les violences sexuelles.
Néanmoins, ce sont ces mêmes États, comme la France, qui engendrent des conditions de guerre génératrices des pires violences sexuelles commises aussi bien contre les femmes que contre les hommes. C’est par exemple le cas en République Démocratique du Congo (RDC), dont les conflits à l’est du territoire découlent de luttes impérialistes entre États et leurs monopoles, comme la France mais aussi la Chine, les États-Unis, le Canada ou encore le Royaume-Uni, pour le contrôle des ressources minérales. Or dans cette zone de conflit, les violences sexuelles sont utilisées comme véritable arme de guerre contre les populations locales, ciblant en particulier les femmes et les enfants.
Cette article, paru dans notre numéro de juillet-octobre 2024 de La Relève, propose des pistes d’analyse marxiste de cette utilisation des violences sexuelles comme arme de guerre, prenant exemple sur la situation actuelle en RDC mais aussi sur les cas de violences sexuelles pendant l’occupation de l’Irak en 2003-2004 ou pendant la guerre en Ukraine depuis 2022.
Nous ne pouvons lutter contre les violences sexuelles et contre toutes les formes de violences faites aux femmes sans lutter contre l’impérialisme, en France comme dans tous les pays. Nos luttes féministes ne peuvent être que de classe et internationalistes !
Ne laissons pas les capitalistes dépolitiser nos luttes : ce 8 mars sera révolutionnaire et anti-impérialiste !
« L’actualité des guerres se déchaînant sur notre planète, en particulier en Ukraine et au Proche-Orient, nous conduit à les analyser non seulement d’un point de vue de classe, dans le cadre des affrontements inter-impérialistes, mais aussi à travers leurs composantes spécifiques, illustrant le niveau de barbarie atteint par le capitalisme pourrissant en ce 21ème siècle.
Parmi les atrocités les plus effrayantes commises au cours des deux derniers siècles, on pense notamment aux massacres de masse de soldats et de civils, à dimension génocidaire, au recours aux armes chimiques et nucléaires, aux bombardements continus et systématiques destinés à l’anéantissement de toutes les infrastructures d’une région ; dans les guerres coloniales, on pense aussi au terrorisme d’Etat pratiqué par l’armée coloniale contre l’ensemble de la population indigène, et au recours à la torture contre les résistants arrêtés…
À cette liste, compte tenu de l’actualité de cette question dans notre pays, nous ajoutons le constat des violences sexuelles (VS), largement mobilisées comme arme de guerre dans toutes sortes de situations de guerre.
Il est pour le moins paradoxal de constater que certains États bourgeois impérialistes prétendent aujourd’hui se mobiliser localement comme gendarmes contre les VS, alors qu’ils sont eux-mêmes les organisateurs des conditions de guerre génératrices des pires VS commises contre les femmes et les hommes.
Rappelons tout d’abord notre analyse de ce qu’est une guerre.
Pour nous, communistes au PCRF, il n’y a pas de guerre dans l’absolu, nous ne luttons pas contre la guerre « en soi ». Chaque conflit armé, que ce soit une guerre civile ou une guerre interétatique, est une lutte de classe sous sa forme exacerbée, c’est-à-dire comme une situation de lutte de classe totale et frontale. La guerre et les conflits armés sont la prolongation d’une politique, ils ne viennent jamais de nulle part. Chaque guerre a sa nature et sa dynamique propre de classe. Une guerre peut être inter-impérialiste comme la guerre en Ukraine depuis 2022 (nous renvoyons nos lectrices et lecteurs à notre brochure Leurs guerres, nos morts !) ou alors résultant d’une situation de lutte de classe antagonique entre les masses exploitées et la classe exploiteuse, comme la situation actuelle en Palestine occupée ou comme le fut la lutte du FLN contre l’État colonial français pendant l’occupation de l’Algérie.
Cela étant énoncé, on peut se poser la question : pourquoi parler des violences sexuelles comme « arme de guerre » ?
Le phénomène des viols de masse contre les femmes est sans doute très ancien, mais on sait que cet aspect de la guerre a perduré au 20ème siècle, et qu’il dure encore :
Ainsi, dans le Sud-Kivu en République Démocratique du Congo, qui est en guerre civile depuis 2004, un grand nombre d’enfants sont nés de viols non jugés. La pratique du viol n’ayant pas été systématiquement punie par les autorités gouvernementales, militaires ou religieuses, les viols se sont largement répandus dans le territoire.
Ce phénomène touche aussi les hommes. En avril 2004, le rapport Taguba sur l’occupation de l’Irak expose de nombreux cas de violences sexuelles commises dans la prison d’Abou Ghraib : violences pédocriminelles, viols et photographie de détenus dénudés ou forcés à imiter des positions sexuelles ou à performer des actes sexuels entre eux. Les photos diffusées ont fait scandale aux États-Unis, mais selon Jasbir Kaur Puar, ces pratiques n’ont rien d’exceptionnel. Dans son ouvrage Homonationalisme. Politiques queers après le 11 septembre , Jasbir Kaur Puar montre que les violences sexuelles faites aux hommes nord-africains et arabes par les armées impérialistes sont le résultat d’une propagande qui fait des musulmans une population particulièrement homophobe, ce qui rendrait ce moyen de torture plus efficace et surtout, plus légitime…
Nous retrouvons un degré similaire d’institutionnalisation et de légitimation des VS en Ukraine, par exemple, lors du massacre du Boutcha du 27 février au 31 mars 2022. Les viols de masses qui y ont eu lieu ont été ordonnés par le colonel du 234ème régiment d’assaut aérien Artyom Gorodilov. Depuis 2014, et spécifiquement dans le Dombass, de nombreux témoignages prouvent que le viol de masse est un des outils de l’armée russe. Des témoignages révèlent que l’objectif de ces viols serait d’empêcher (par dégoût et par traumatisme) que les Ukrainiens et les Ukrainiennes aient des enfants.
L’instrumentalisation des VS est aussi à considérer dans sa dimension de propagande idéologique :
Dans un contexte impérialiste, les VS sont instrumentalisées comme un des justificatifs de la guerre, parfois mises en avant médiatiquement pour construire une arme idéologique et dissimuler les intérêts économiques de l’occupation.
La professeure Nadera Shalhoub-Kevorkian, entrée dans le camp de Jénine, en Cisjordanie occupée, après la deuxième Intifada, affirme : « Les femmes ont été considérées comme des non-histoires, à moins qu’elles ne servent l’intérêt des puissants »…, par exemple, ajoutons-nous, pour dénigrer la lutte du peuple palestinien, en Israël et en Occident.
Autre exemple : « Pour préparer le public américain à la guerre contre l’Irak, les voix des femmes irakiennes opprimées ont été élevées par les médias internationaux et en particulier les medias américains »1. Or on sait que les viols des femmes irakiennes, pendant l’occupation américaine, ont été ensuite tus.
Enfin, une même instrumentalisation a été pratiquée s’agissant des VS commises par des Palestiniens de Gaza contre des Israéliennes le 7 octobre 2023 : ces faits, en partis avérés par un rapport de l’ONU, sont devenus un instrument de propagande de l’État israélien et des États impérialistes pour dissimuler la situation de lutte des classes sous couvert d’une « lutte entre civilisation et barbarie » ; rappelons les propos du ministre israélien de la Défense Yoav Gallant, pour qui les Palestiniens de Gaza sont des »animaux humains »…, propos destinés non pas à dénoncer les VS pour rendre justice aux victimes, mais plutôt à légitimer ensuite le génocide des Palestiniens. Or, là encore, les VS directement issues du contexte colonial entretenu par l’Etat israélien et par son armée prétendument « la plus morale du monde », sont documentées depuis de nombreuses années : En témoigne un appel de l’Organisation Mondiale Contre la Torture en date du 20 juin 2006, qui dénonce les violences et humiliations sexuelles de 24 prisonnières politiques dont sept mineures dans la prison de Neve Tertze à Ramle. Le 19 février 2024, l’ONU demande une enquête sur les violences sexuelles faites aux femmes en prison, concernant des viols et des photographies des prisonnières forcées à se déshabiller. Des Palestiniennes venant visiter des prisonniers politiques sont également forcées à se déshabiller et à subir des fouilles humiliantes. Des photos publiées par des militaires de Tsahal exhibent la lingerie des femmes palestiniennes ayant perdu leur domicile. Plus récemment, en juillet 2024, alors qu’un viol en groupe d’un prisonnier palestinien par des soldats israéliens a été révélé, ces faits ont donné lieu à une défense virulente de la part de Tsahal, menant à des manifestations à la base militaire de Sde Teiman, le ministre des finances israélien Bezalel Smotrich allant jusqu’à affirmer que « les soldats accusés de ce viol devraient être considérés comme des héros et non des criminels. »
Finalement, l’exposé de ces faits de violences sexuelles en situation de guerre permet de mieux comprendre à la fois leur statut d’arme de guerre et les spécificités de cette arme que sont les VS :
– On ne peut pas parler de phénomène « accidentel » ni d’« excès dus à des individus particulièrement lubriques ou sadiques », comme il a été avancé aux Etats-Unis pour justifier les photos d’Abou Ghraib ; car même sans directive donnée par les Etats-majors des armées, le recours aux VS est le produit d’une propagande idéologique à l’œuvre au cœur même de ces armées impérialistes et coloniales, et plus globalement, à l’échelle idéologique d’un Etat impérialiste.
– Dans le cadre d’une analyse scientifique et matérialiste de ce phénomène, nous ne pouvons nous contenter de dénoncer les VS comme une horreur de l’humanité, au même titre que les autres atrocités évoquées en introduction ; nous devons aussi nous interroger sur la situation de lutte de classe, sur les contradictions, sur l’objectif militaire et stratégique, qui sont à l’origine de cette arme de guerre.
Comprendre la guerre dans toutes ses dimensions, sans subjectivisme ni jugement moral, c’est ce à quoi s’emploient le PCRF et sa jeunesse, pour mieux lutter contre l’impérialisme et pour la paix. »
- Shalhoub-Kevorkian, Nadera. “The Hidden Casualties of War: Palestinian Women and the Second Intifada.” The Indigenous Peoples’ Journal of Law, Culture, & Resistance, vol. 1, no. 1, 2004, pp. 67–82. JSTOR, http://www.jstor.org/stable/45407128. Accessed 8 Sept. 2024.
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