
La guerre civile en République Démocratique du Congo (RDC) s’embrase depuis le début de cette année 2025. En janvier, le M23, mouvement rebelle situé à l’est de la RDC dans la région du Kivu, a capturé Goma, capitale du nord-Kivu. Début février, le M23 continuait ses offensives, gagnant des territoires au nord-Kivu et avançant vers le sud-Kivu.
Cette guerre civile, qui refait parler d’elle depuis les avancées du M23, dure en réalité depuis plusieurs décennies : des conflits éclatent au Kivu dès 2004, lesquels font directement suite à la deuxième guerre du Congo de 1998 à 2003, l’un des conflits les plus meurtriers depuis la Seconde Guerre mondiale. Depuis, ce sont plus d’une centaine de groupes armés différents qui sont actifs dans la région, le M23 faisant partie des plus importants, notamment de par l’étendue du territoire sous son contrôle et la qualité de son armement. Les conflits ont causé des dizaines de milliers de morts, plus d’un million de déplacés, et ont favorisé l’émergence d’épidémies parfois meurtrières. Ils sont aussi particulièrement notables par leur brutalité, avec notamment des massacres de civils et l’usage massif des viols comme véritable arme de guerre1. Les offensives en cours par le M23 depuis début 2025 suivent cette logique : la seule prise de Goma a causé au moins 3 000 morts et des centaines de viols ont été recensés.
La gravité de la situation en cours relance des débats, inquiétudes et questionnements à son sujet, notamment sur les causes de cette guerre civile et de sa durée, ainsi que sur les moyens d’y mettre un terme.
Une large partie du conflit en cours se fonde sur les suites du génocide des Tutsis, commis entre avril et juillet 1994 par les Hutus extrémistes du parti Hutu Power, alors à la tête de l’appareil d’État rwandais. Le génocide au Rwanda a causé la mort de 500 000 à 1 million de Tutsis et de Hutus modérés, avec la complicité de l’appareil d’État français (notamment par les livraisons d’armes et les relations diplomatiques). Ainsi le M23 a-t-il été créé en 2012 par d’anciens rebelles tutsis du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), qui était un mouvement rebelle actif à l’est de la RDC entre 2006 et 2009. Il visait la défense des Tutsis et la neutralisation des Forces démocratiques de la libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé créé par des Hutus extrémistes s’étant réfugiés au Congo après la fin du génocide du Rwanda.
Le M23 et le FDLR, ainsi que bien d’autres groupes armés, sont alors utilisés comme intermédiaires dans une guerre qui oppose directement la RDC et le Rwanda eux-mêmes : la RDC accuse le Rwanda de soutenir, financer et utiliser le M23 dans une guerre contre elle, tandis que le Rwanda accuse la RDC de soutenir le FDLR et, pour justifier ses interventions et ses soutiens de groupes armés en RDC, accuse cette dernière de cacher au Kivu, et plus globalement à l’est de la RDC, des Hutus responsables du génocide au Rwanda et de leur permettre d’échapper à la justice rwandaise.
Les justifications posées par la RDC, le Rwanda et les groupes armées au Kivu masquent en revanche les intérêts économiques dans les conflits au Kivu, dont l’importance en font en réalité les principaux vecteurs de ces derniers : le Kivu est l’une des zones du monde les plus riches en de nombreux minerais indispensables à la production de matériels électroniques comme les téléphones portables, les batteries de voitures électriques, les panneaux photovoltaïques, les éoliennes, les fibres optiques, etc. En particulier, la région du Kivu dispose de 80% des réserves mondiales de coltan, dont le dérivé, le tantale, est très recherché pour la production de condensateurs pour ordinateurs et téléphones portables. Le Kivu est également très riche en cuivre, en or, en cobalt, en zinc, en germanium, mais aussi en pétrole. Tout autant de minerais et ressources très recherchés et indispensables à la production des matériels électroniques précités et de bien d’autres.
Les conflits en cours dans le Kivu s’inscrivent donc en réalité dans une lutte pour le contrôle des ressources minérales de la région. Ainsi, via le M23, le Rwanda maintient son emprise sur de multiples mines au Kivu et organise l’acheminement illégal des ressources vers son territoire pour le revendre ensuite à des monopoles de l’électronique, comme Apple. Les États-Unis sont d’ailleurs, en ce sens, l’un des principaux soutiens du Rwanda, étant le premier acheteur du coltan de RDC exporté vers le Rwanda. La supériorité militaire et technologique du Rwanda sur la RDC, supériorité qui se retrouve dans certains groupes armés soutenus par le Rwanda comme le M23, laisse d’ailleurs supposer une aide militaire de la part d’États trouvant leurs intérêts avec le Rwanda, comme les États-Unis mais aussi la France.
La France dispose en effet de ses intérêts propres dans la région, y compris avec le Rwanda. 40 entreprises françaises sont en effet aujourd’hui présentes et actives sur le territoire rwandais, et des investissements français sont réalisés au Rwanda, notamment dans la construction et la logistique, mais aussi, justement, dans l’énergie et le digital. En outre, la bourgeoisie française, via Bpifrance (Banque publique d’investissement pour le financement des entreprises) organise le lien entre l’État rwandais et les monopoles s’y implantant. Ainsi, même si la France n’est pas aujourd’hui un acteur central dans la région, ses intérêts avec le Rwanda sont bien présents et s’inscrivent dans la dynamique de l’État français de redéfinition de ses tactiques en Afrique pour ses monopoles2. En Afrique d’ailleurs, l’État français est également présent, entre autres, à Djibouti, où il dispose de Rafales à portée de tir du Rwanda et du Kivu. Enfin, l’Agence Française pour le Développement, aux côtés de la Banque Européenne d’Investissement, octroie un soutien financier de 300 millions d’euros à l’État rwandais, somme que celui-ci utilise comme il le souhaite, dans les conditions les plus opaques.
Du côté de la RDC, cette dernière est principalement soutenue par la Chine, qui contrôle aujourd’hui près de 70% de l’activité minière du pays, au détriment des États-Unis qui étaient autrefois l’État qui contrôlait la majorité de cette activité en RDC. De ce fait, la Chine soutient matériellement les Forces armées de la République Démocratique du Congo (FARDC, l’armée régulière de la RDC), laquelle, en retour, protège les mines contrôlées par la Chine. Aujourd’hui, notamment, l’immense majorité du cobalt de la RDC est exporté vers la Chine pour ses monopoles, ainsi qu’une partie significative du cuivre. D’autres États trouvent également leurs intérêts avec la RDC, comme notamment le Canada (comme Ivanhoe Mines qui détient plusieurs mines avec la Chine) et le Royaume-Uni (comme Glencore, anglo-suisse, qui exploite du cobalt en RDC et en revend une partie significative à la Chine).
La pérennisation du conflit au Kivu est donc loin d’être anodine ou incompréhensible : de nombreux États forts de l’impérialisme, comme les Etats états-unien, chinois, canadien, britannique et français, trouvent leurs intérêts dans la région, dont le contrôle de ses ressources est indispensable pour s’assurer un avantage dans la course à la domination technologique. Les différentes forces armées sont soutenues directement ou indirectement par la RDC ou le Rwanda et par les États impérialistes qui trouvent actuellement un intérêt avec l’un ou l’autre. Les monopoles internationaux tissent des jeux d’alliances de circonstances qui peuvent se renforcer ou se renverser au fur et à mesure des conflits, avec pour objectif non seulement d’assurer les extractions minières dans la région à leurs profits, mais aussi de permettre l’accueil de leurs investissements.
Il serait cependant erroné de voir en l’ensemble de la RDC une victime dans le conflit. La RDC dispose elle-même d’une bourgeoisie constituée et active, qui dépend des investissements étrangers et profite elle-même des extractions minières par les monopoles internationaux. L’exemple le plus frappant est le cas de la Gécamines : il s’agit d’un monopole minier de RDC qui est l’une des entreprises minières les plus importantes d’Afrique. La Gécamines détient un important portefeuille de participations dans de nombreuses entreprises étrangères actives dans l’extraction minière en RDC, comme les entreprises chinoises Tenke Fungurume Mining et Sicomines, desquelles la Gécamines est propriétaire de chacune à 20 %. En outre, ce sont des centaines de millions de profits qui sont réalisés par la bourgeoisie de RDC chaque année, cela malgré la pauvreté et la misère extrêmes dans lesquelles se trouve la population du pays : la Gécamines à elle seule a obtenu un équivalent de presque 500 millions d’euros de profits pour la seule année 2022. La RDC s’inscrit donc bien dans le cadre de l’impérialisme mondial et de ses dynamiques : il existe bel et bien une bourgeoisie en RDC, quoique très faible sur le plan international, qui exploite la force de travail des travailleurs et travailleuses en RDC aux côtés de bourgeoisies d’États forts de l’impérialisme, et qui dépend de ces derniers et de leurs investissements.
Face à cette situation, l’UJC et son Parti, le Parti Communiste Révolutionnaire de France, expriment leur solidarité de classe et internationaliste auprès du peuple-travailleur de RDC qui est la seule victime dans ce conflit. Loin de la social-démocratie en France, qui appelle à une énième intervention militaire meurtrière, comme Jean-Luc Mélenchon sur X le 31 janvier 2025, nous affirmons que seul le prolétariat et ses alliés, organisés avec leur Parti, pourront mettre un terme aux guerres et aux conflits provoqués ou entretenus pour les intérêts impérialistes. En France, dénonçons et organisons la lutte contre les monopoles français actifs au Rwanda et qui cautionnent voire profitent du rôle de ce dernier dans le conflit au Kivu, comme le groupe Bolloré par ses filiales Bolloré Logistics et Canal+, mais aussi Inetum, Poma ou Egis !
Contre l’impérialisme, soulevons le drapeau de l’internationalisme ! Pas de guerre entre les peuples, pas de paix entre les classes !
- : Sur l’utilisation des violences sexuelles comme arme de guerre, voir l’article paru dans La Relève juillet-octobre 2024 « Les violences sexuelles comme arme de guerre » au lien suivant : https://www.unionjc.fr/2025/02/18/les-violences-sexuelles-comme-arme-de-guerre/
- : Sur la question du redéploiement tactique de la France en Afrique, voir l’article de la Commission internationale du PCRF « Redéploiement tactique, continuité stratégique : l’impérialisme et l’Afrique » au lien suivant : https://www.unionjc.fr/2025/02/14/redeploiement-tactique-continuite-strategique-imperialisme-et-afrique/